Comment je me suis intéressée aux conditions de la naissance
Début de mon intervention lors de la journée de conférences et de débats organisée par l’association Carrefour Naissance, Charleroi (Belgique), 14 mars 2002.
Des choses ont changé depuis (par exemple, l’expérimentation des maisons de naissance a enfin commencé, 20 ans après…), mais pas tant que ça…
Je voudrais dire ici pourquoi je me suis intéressée à ce sujet qu’est la naissance, dans la mesure où je ne suis pas professionnelle de santé. De métier, je suis bibliothécaire, dans une bibliothèque universitaire de droit et sciences économiques. À part le goût pour la documentation et la recherche, cela n’a pas grand chose à voir avec les professions de santé.
J’ai été enceinte pour la première fois dans les années 1970, à une époque où il y avait, en France, un bouillonnement autour de la naissance. Il y avait la vague écolo, le retour à la nature… Il y avait eu aussi le film et le livre de Leboyer, Pour une naissance sans violence. J’avais assisté à la première projection de ce film. C’était à la Pitié-Salpêtrière, donc dans un hôpital. C’était assez étonnant, quand j’y repense aujourd’hui.
Donc, quand j’ai été enceinte, j’avais quand même dans l’idée que j’avais envie de quelque chose de « naturel ». Cela entrait dans un tout, notamment avec la recherche d’une alimentation plus saine, naturelle… Et j’ai trouvé, dans le magazine Parents, un reportage sur la maternité des Lilas, près de Paris. Cela m’a assez séduite. Je suis donc aller accoucher dans cette maternité.
C’était en 1976, et je n’ai pas cessé de m’intéresser au sujet depuis. Quand j’ai été à nouveau enceinte, trois ans après, j’ai vraiment eu envie (pourtant j’étais tout à fait contente de l’accouchement que j’avais eu aux Lilas) de quelque chose de plus « naturel ». Il se trouve que la sage-femme sur laquelle j’étais tombée par hasard, parce que c’était son tour de garde aux Lilas ce jour-là, faisait aussi, en plus de sa pratique hospitalière, quelques accouchements à domicile. Ce n’était pas du tout sa pratique régulière. Elle en faisait un petit peu, comme ça, pour le plaisir et pour le plaisir des femmes qui le souhaitaient.
J’ai donc accouché une deuxième fois avec la même sage-femme, chez moi. Et quelques années après, une troisième fois, toujours avec la même sage-femme, également chez moi. Je peux dire que j’ai « ma » sage-femme. C’est un luxe ! Je crois qu’une des raisons pour lesquelles les femmes souhaitent accoucher à domicile, c’est parce qu’elles veulent savoir avec qui elles vont accoucher, connaître la sage-femme avant.
Et c’est vrai que dans l’organisation de la naissance, en tout cas en France, la seule façon, pratiquement, d’avoir un accompagnement global, c’est d’accoucher à domicile. Il y a toujours des projets de maisons de naissance, mais qui traînent depuis déjà pas mal de temps et qui sont toujours à peu près bloqués pour l’instant, malgré un discours de Kouchner il y a déjà deux ans et demi. C’est vrai que là, il y aurait un accompagnement global, mais pour l’instant, ça n’existe pas.
Expérience d’un accouchement à domicile
Pendant ces années où j’ai moi-même eu mes bébés, j’ai également assisté à plusieurs accouchements d’amies ou de connaissances. Certains à domicile, d’autres en maternité. Je ne dis pas que j’ai fait le tour de tout ce qu’on peut voir, mais j’ai quand même assisté à une césarienne sous péridurale, à un accouchement par le siège, normal c’est-à-dire sans césarienne, et donc aussi à plusieurs accouchements à domicile.
Je sais que ce que je vais dire peut faire hurler les professionnels de santé, mais ce qui m’a vraiment marquée, c’est l’accouchement d’une amie. Elle devait accoucher à domicile pour son deuxième enfant (le premier était né à Pithiviers, du temps où Michel Odent y était encore). Cela se passait en 1984, un moment où il n’y avait pratiquement plus personne, sur la région parisienne, à faire des accouchements à domicile. Celles qui en avait fait avant avaient arrêté, et celles qui le font maintenant n’avaient pas encore commencé.
Comme cette amie y tenait vraiment, elle a cherché dans les pages jaunes de l’annuaire à « sages-femmes libérales ». Or, à l’époque, les seules sages-femmes libérales qu’on trouvait étaient en fait des ex-sages-femmes qui s’étaient reconverties en infirmières à domicile. Mon amie n’avait trouvé qu’une sage-femme tout près de la retraite qui lui avait dit que ça lui arrivait encore de faire des accouchements pour les Témoins de Jéhovah, ou pour les gitanes qui ne voulaient pas aller à la maternité.
Elle ne l’a pratiquement pas vue de toute sa grossesse. Elle s’était aussi inscrite dans une maternité, au cas où. Et il était prévu que je serais là. J’habitais à cinq minutes de chez elle, et donc je pouvais facilement être présente à l’accouchement.
Un soir, vers 10 h, son mari me téléphone en disant que ça a commencé et que c’est sans doute pour bientôt. J’y vais. Ils n’avaient pas réussi à joindre la sage-femme. C’était une époque où il n’y avait pas de portable, et ils étaient tombés sur son répondeur. C’était deux semaines avant le terme prévu.
J’arrive vers 11 h du soir. Son premier accouchement avait duré 24 heures, et elle pensait que celui-ci allait être long également. Mais quand je suis arrivée, avec ma toute petite expérience, j’ai vraiment eu l’impression que c’était pour dans pas longtemps. Je n’ai évidemment rien fait (pas de toucher…), mais rien qu’à la voir, à l’entendre, j’avais l’impression que c’était quand même assez avancé. À 11 h du soir, on retéléphone à la sage-femme : toujours personne. 11 h 30 : toujours pas de sage-femme. Minuit : toujours pas là !
Je me suis dit que j’allais téléphoner à ma sage-femme, pour lui demander ce qu’elle en pensait. Elle n’est pas chez elle. Je téléphone aux Lilas, et alors que j’étais en train de faire le numéro de la maternité, j’entends le mari de mon amie dire qu’elle est en train de pousser…
Attention, je ne préconise absolument pas d’accoucher comme ça, toute seule. Ça c’est juste fait comme ça. J’ai raccroché, et puis on y est allé ! Il y avait son mari, il y avait moi, et elle a accouché. Comme ça. On n’a rien fait. Rien, ce qui s’appelle rien ! Comme on attendait la sage-femme, on n’avait rien prévu. Il n’y avait rien du tout. Je n’ai pas tourné le bébé, je n’ai rien fait. J’avais tellement peur de faire quoi que ce soit… Je dois dire que j’ai eu quelques secondes de panique quand j’ai vu la tête sortir… et que cette tête était un peu grise, les yeux fermés, et c’est vrai, je me suis dit : « Ce bébé est mort. » Ça a duré quelques secondes, et puis le corps est sorti, le bébé allait parfaitement bien.
Mais ce n’était pas encore terminé : il y avait encore le placenta. Si je savais quand même quelque chose, c’était qu’un des risques de l’accouchement, c’est l’hémorragie de la délivrance. Donc, pareil, je ne voulais rien toucher, surtout ne pas tirer, ne pas pousser, rien, rien, rien…
Une demi-heure se passe : pas de placenta. Une heure se passe : toujours pas de placenta.
J’ai oublié de préciser que cette amie est américaine. Elle avait chez elle le manuel des pompiers de New-York pour les accouchements en urgence. Dans ce manuel, il était écrit qu’on pouvait attendre trois heures pour la sortie du placenta. Donc on n’était pas trop inquiet. Entre-temps, on avait retéléphoné à la sage-femme, mais toujours rien. Mon amie avait mis le bébé au sein. On s’était dit que ça allait peut-être aider. On avait aussi, quand même, coupé le cordon. Son mari avait fait bouillir des ciseaux et de la ficelle à gigot… On avait attendu longtemps avant de couper le cordon avec les ciseaux.
À un moment, elle s’est levée parce qu’elle avait envie de prendre une douche. Et « plof », le placenta est tombé. Il était sûrement décollé depuis un bon bout de temps. J’en étais à me dire qu’on allait devoir aller à la maternité. Mais c’était quand même un peu bête, alors que tout s’était bien déroulé jusque-là.
« Liste de questions à poser à la maternité »
Après coup, je me suis dit : « Quand même, tous ces gestes qu’on fait, du moment où on arrive à la maternité jusqu’à ce qu’on en sorte… » Bien sûr, dans certains cas, ils sont utiles, voire vitaux, mais dans l’immense majorité des cas, manifestement, ils ne sont pas utiles, et peut-être même qu’ils sont nuisibles.
À ce moment-là, j’ai commencé à réfléchir encore plus à tous ces gestes. Et je me suis mise à aider les femmes pour qu’elles sachent à quels gestes s’attendre, quels gestes elles peuvent peut-être refuser. Avec cette amie, on a fait à l’époque (en 1984-85) une « liste des questions à poser à la maternité ». On la donnait aux femmes enceintes qu’on rencontrait dans notre pratique. J’ai oublié de dire que je suis aussi devenue, dans ces années-là, animatrice LLL. Dans les réunions, on rencontrait régulièrement des femmes enceintes qui se posaient des questions.
Je me suis retrouvée à travailler dans un certains nombre d’associations de parents autour de la naissance : « Naître à la maison » (qui n’existe plus), la « Fédération des associations de parents autour de la naissance », qui est devenue la Fédération « Naissances et liberté », « Naissance et citoyenneté », créée en 2000.
Et puis j’ai écrit mon petit livre, Pour une naissance à visage humain, qui est en quelque sorte le développement de cette « liste de questions à poser à la maternité » que j’avais faite avec mon amie en 1984.
Il me semble, depuis le début, que le gros problème de la naissance, dans notre société, c’est le manque d’information des femmes. C’est-à-dire que tous ces gestes qu’on fait sur elles et sur leurs bébés, très souvent elles n’en connaissent pas les conséquences éventuelles, et elles ne savent même pas qu’on va les faire. Par exemple, l’aspiration : je ne connais aucune personne qui sait qu’on va faire ça à son bébé à la naissance. Il y en a même qui ne le savent pas après. Alors que c’est quasiment systématique !
J’ai toujours pensé qu’il était très important, dans ce domaine comme dans d’autres, que les parents puissent faire des choix éclairés. Beaucoup de personnes ne sont pas du tout au courant de ce qui se passe autour de la naissance, et éventuellement le regretteront après. C’est un peu dommage de ne pas le savoir dès l’abord, non ?
L’information à portée de main
Mon but a toujours été d’informer, de donner l’état de la littérature. Notamment la littérature anglo-saxonne, puisque la plupart des études sont publiées dans des revues anglo-saxonnes. Elles sont peu connues en France, y compris des professionnels de santé. Beaucoup ne s’y intéressent pas, ne cherchent pas à lire ce qui se publie dans les revues anglo-saxonnes. C’est en train de changer, actuellement, avec internet. Je pense qu’avec internet, même s’il y a sûrement des effets pervers, il y a quand même un accès à une information diversifiée. Et si le citoyen moyen comprend l’anglais, il a accès à une littérature scientifique de très bonne qualité… que parfois son médecin ne connaît pas.
Les professionnels de santé vont bientôt avoir affaire à des patients qui seront peut-être mieux informés sur leur pathologie qu’eux – et pas seulement dans le domaine de la naissance. Ça va être très intéressant à observer comme phénomène…
Parce qu’en fait, ce à quoi on assiste à l’heure actuelle, c’est à un détournement du savoir, c’est-à-dire que le professionnel de santé a un savoir qui lui est donné souvent par des machines, par des examens, et qui peut nier le savoir que la femme pense avoir.
Il y a un livre qui est sorti dernièrement en France qui s’appelle Les femmes et les bébés d’abord, écrit par une sage-femme et une psychanalyste : Francine Dauphin et Myriam Szejer. Toutes deux ont travaillé à Antoine-Béclère, un hôpital de niveau 3, très technologique. Elles critiquent l’hypermédicalisation de la naissance et le détournement du savoir. À ce propos, elles écrivent le dialogue suivant. Il parait caricatural, mais il ne l’est pas, malheureusement.
« Une femme voit son médecin pour une première échographie afin de dater la grossesse. Le médecin lui dit la date de conception. La femme lui dit que ce n’est pas possible, car son mari était alors en déplacement professionnel toute la semaine. »
Je trouve que c’est mépriser l’autre de manière assez grave, mais en plus, ça risque d’avoir des conséquences sur la suite. Si la date de la conception a été fixée de cette façon, ça veut dire que le terme est fixé aussi. Mais si le terme supposé est dépassé de trois jours, il est possible qu’on la déclenche… Ce n’est donc pas du tout anodin ! On s’aperçoit qu’il y a mal d’âges de grossesse qui ne sont pas exacts et qui entraînent des déclenchements avant terme.
Deux logiques dans la naissance
Ce qu’il faut bien voir – et il y a pas mal de gens qui ont réfléchi sur le sujet et qui disent la même chose –, c’est qu’il y a grosso modo deux logiques par rapport à la grossesse et à l’accouchement. Il y a une logique pathologique et une logique physiologique. Et c’est difficile de faire un compromis entre les deux. Ce serait l’idéal, évidemment, mais c’est assez illusoire, parce que lorsqu’on commence à penser à la grossesse comme à un truc risqué où il faut tout bien mesurer, où tout ce qui dépasse un peu risque d’être dangereux, et à l’accouchement comme à l’extraction la plus rapide possible d’un fœtus du corps de la mère…, c’est assez difficile de voir les choses, en même temps, de façon physiologique.
Voici quelques chiffres, pris dans le livre dont je vous ai parlé. En France, les élèves sages-femmes ont actuellement quatre années d’études. Sur 1 800 heures d’enseignement théorique, seulement 10 % sont consacrés à l’accouchement physiologique. Les autres 90 % sont consacrés au pathologique. Comment voulez-vous, quand on a cette formation-là, avoir la confiance nécessaire pour accompagner un accouchement physiologique ; ce qui, normalement, devrait être le cas de 80 à 90 % des accouchements. Ça me paraît difficile – à moins de faire sa propre révolution.
Pourtant, malgré cette formation-là, on peut remarquer que les sages-femmes sont quand même davantage du côté de la physiologie que les médecins. Voici par exemple quelques chiffres venant du Conseil d’évaluation du projet pilote de sages-femmes, au Canada, en 1998 : les sages-femmes faisaient 6,9 % d’épisiotomies. contre 36,5 % chez les médecins. Je pense qu’en France, les chiffres sont encore plus élevés.
Le texte entier de mon allocution se trouve ICI.
Illustration : dessin de Chloé Legeay pour l’affiche du film « Entre leurs mains »