Il sourit aux anges ? Peut-être, mais à moi aussi !
Ma chronique dans le n° 81 de Grandir autrement, mars/avril 2020.
On a longtemps cru que les sourires des nouveau-nés n’étaient pas de « vrais » sourires, mais des sortes de réflexes, de simples contractions musculaires involontaires. De récentes études montrent qu’il n’en est rien.
Jusqu’à il y a peu, le comportement des nouveau-nés était considéré comme essentiellement réflexif. Les scientifiques supposaient que ceux-ci n’avaient qu’une capacité limitée à ressentir et à exprimer des émotions [1] et n’avaient pas assez d’expérience sociale pour interagir avec les personnes s’occupant d’eux.
Au début des années 2000, on pensait encore que les nouveau-nés ne souriaient qu’en réponse à des contractions musculaires, des érections du pénis, des mouvements des intestins ou de la vessie, voire sans raison particulière.
Sourire « aux anges » ?
Et traditionnellement, on qualifiait les sourires des nouveau-nés (souvent dans leur sommeil) de « sourires aux anges ». On admettait à la rigueur qu’ils pouvaient être le reflet d’un état de bien-être du bébé, mais pour ce qui était du sourire « intentionnel », du sourire « social », du sourire en réponse à celui de l’adulte, on estimait qu’il fallait attendre les 2 mois du bébé.
On pensait aussi que les premiers sourires intentionnels venaient en réponse aux sourires des adultes, en premier lieu des parents. Ce qui est sans doute vrai. Mais ceux-ci ne lui sourient-ils pas dès la naissance ? Selon une étude faite en 1977 [2], les nouvelles mères regarderaient leur nouveau-né âgé de seulement 16 heures 80 % de leur temps, et lui souriraient 38 % de ce même temps !
Sourire avec les joues
Les chercheurs observaient bien des sourires chez des bébés plus jeunes que 2 mois, dès les premiers jours en fait. S’ils ne les considéraient pas comme reflétant une émotion, c’est en grande partie parce qu’ils ne semblaient pas ressembler aux « vrais » sourires, ce qu’on appelle les « sourires de Duchenne » [3], où ce ne sont pas seulement les coins de la bouche qui s’étirent, mais aussi les joues qui s’élèvent et les yeux qui « pétillent » en devenant plus étroits.
Mais quand, plus récemment, ils ont pu analyser les micromouvements du visage image par image, à l’aide d’un système de codage spécifique [4], les sourires dès l’âge de 1 jour se sont révélés concerner pas seulement la bouche mais aussi les joues [5].
On a aussi observé que lorsque les nouveau-nés sont dans un état d’éveil où ils interagissent avec d’autres, ils sourient deux fois plus que lorsqu’ils dorment, ce qui indique bien que des facteurs sociaux sont impliqués. De plus, ils commencent souvent par bouger les joues et les sourcils avant de sourire, comme s’ils se concentraient sur le visage de l’adulte.
Conclusion des chercheurs : il est donc tout à fait possible que ces nouveau-nés aient réellement l’intention de sourire.
Et savez-vous ce qui se passe quand les parents voient leur nouveau-né sourire ? Eh bien, ils lui sourient en retour, ce qui incite derechef le bébé à sourire ! Un vrai cercle vertueux [6].
Ayant eu il y a peu une petite-fille que j’ai vue sourire dès ses premiers jours, je peux vous dire que ce cercle, ça marche !
[1] Et aussi la douleur, d’où ces opérations faites sur des nouveau-nés sans anesthésie…
[2] Heidelise Als, « The Newborn Communicates », juin 1977.
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Expression_faciale
[4] Baby FACS, Baby Facial Action Coding System.
[5] Dondi M et al., A New Perspective on Neonatal Smiling : Differences Between the Judgments of Expert Coders and Naive Observers, Infancy 2007 ; 12(3) : 235 – 255.
[6] Sur le plan cérébral, des IRM ont montré que le « système de récompense » était alors activé chez les mères.