DME, vous avez dit DME ?
La diversification alimentaire est un sujet qui préoccupe beaucoup les nouveaux parents. Quand commencer ? Quels aliments proposer ? En quelles quantités ? En purée ou en morceaux ? Etc., etc.
À toutes ces questions, les manuels de puériculture et les professionnels de santé ont des réponses qui, par leur précision minutieuse, engendrent en fait plus d’inquiétudes que de confiance chez les parents : que faire si mon bébé refuse les 50 g de purée de carottes qu’il est censé absorber à son âge ? Et a contrario, que faire s’il veut manger ce que mange son grand frère mais qui n’est pas encore « de son âge » ?
Un bébé acteur
Ne serait-il pas plus simple, plus logique, moins prise de tête et finalement plus efficace, de se laisser mener par l’enfant ? D’attendre qu’il soit prêt ? D’attendre qu’il demande lui-même à goûter autre chose que le lait (souvent en mettant la main dans l’assiette du père ou de la mère !) ? De le laisser découvrir les solides à son rythme, selon son goût, dans les quantités qu’il souhaite et dans les textures qu’il préfère ?
C’est ce que propose de faire La Leche League [1] depuis plus de soixante ans (mesure-t-on l’audace qu’il y avait alors à dire que « pour le bébé né à terme et en bonne santé, le lait maternel est la seule nourriture nécessaire jusqu’à ce qu’il manifeste par certains signes le besoin d’aliments solides, en général vers le milieu de sa première année », à une époque où l’on recommandait de commencer les farines dès 3 semaines et la viande dès 2 mois ?).
Et c’est ce que propose le mouvement pour une « diversification menée par l’enfant » (DME, en anglais « baby-led weaning »), qui a démarré dans les pays anglo-saxons et commence à prendre de l’ampleur aussi en France. Au point qu’aujourd’hui, tous les éditeurs veulent avoir leur livre sur la DME [2] et que les groupes Facebook sur le sujet se multiplient.
Comme le dit l’un des sites français sur la DME [3], « les enfants nés à terme et en bonne santé, qu’ils soient allaités ou pas, sont parfaitement aptes, pour peu que leurs parents les assistent comme il le faut, à apprendre à s’alimenter de manière indépendante et cela sans que les aliments leur soient présentés sous forme de purée ou de compote à la cuillère […] Ils sont à même de porter seuls les aliments à leur bouche, de les mastiquer et enfin de les digérer lorsque leur développement le leur permet« .
Les bénéfices pour l’enfant
En plus d’être beaucoup plus simple pour les parents et agréable pour tout le monde, cette façon de faire engendre chez l’enfant un rapport à la nourriture beaucoup plus sain, et a des conséquences bénéfiques pour sa vie future.
C’est ainsi qu’une étude faite sur près de 300 enfants âgés de 18 à 24 mois [4] a montré que ceux qui avaient eu une DME avaient une meilleure sensibilité à la satiété, et étaient moins susceptibles d’être en surpoids.
A contrario, selon une simulation réalisée par des chercheurs américains [5], le fait de nourrir des bébés âgés de 6 à 12 mois avec des aliments solides dans les quantités recommandées par quatre guides d’alimentation infantile très utilisés aux États-Unis entraînerait une suralimentation et un surpoids. Bien sûr, les parents ne sont pas obligés de donner ces quantités à l’enfant, mais combien vont le forcer à finir le petit pot ou l’assiette puisque, d’après le manuel, c’est ce qu’il devrait manger à son âge ?
Dans la colonne « inconvénients de la DME », on peut indiquer que laisser l’enfant découvrir les solides par lui-même n’est pas toujours très « propre » et ordonné ! Mais là aussi, cela s’avère utile pour son développement.
C’est ainsi que des chercheuses américaines ont appris à des enfants de 16 mois [6] les mots pour désigner des aliments comme du sirop, du yaourt ou de la jelly. Un peu plus tard, elles les ont testés pour voir s’ils connectaient ces noms avec les aliments correspondants, de couleurs et textures un peu différentes.
Résultat ? Les enfants décrits comme les plus « désordonnés » à table par leurs parents ont montré les meilleures capacités d’apprentissage, une fois assis sur leur chaise haute pour manger. Conclusion : le mangeur « sale » fait travailler son cerveau, et créé des catégories lexicales. Un enfant qui a fait plein de choses avec son dessert a compris ce qu’était ce dessert, parce qu’il a acquis tout un tas de données en l’explorant. Selon Roberta Michnick Golinkoff, professeur en sciences de l’éducation, « ils goûtent littéralement le monde en mettant des choses dans leur bouche, en fabriquant des sons, en secouant tout ».
Goûter le monde, c’est pas beau, ça ?!
Pas d’extrémisme
Cela dit, il ne faudrait pas tomber, comme c’est parfois le cas, dans un jusqu’au boutisme. Pratiquer la DME ne veut pas dire qu’il ne faut JAMAIS donner une purée ou une compote ou un petit pot, qu’il ne faut JAMAIS donner à manger à l’enfant à la cuillère.
Comme l’explique une mère : « On a mis notre bébé dans sa chaise à table en même temps que nous. On lui a parfois proposé un bout de légume bouilli qu’on avait cuisiné, parfois on le sentait disposé et on lui proposait un petit pot. Parfois, on lui faisait goûter dans nos mains, puis on posait le morceau sur sa tablette de chaise haute. En fait, au lieu de « le diversifier », on l’a invité à partager nos repas. Parfois, il a tété avant, parfois après, parfois il a tellement faim qu’on abrège et il tète. Parfois au contraire, on sent qu’on peut tenter des choses et on a l’audace de lui proposer quelque chose de nouveau. Parfois, on prépare spécialement pour lui, et parfois pas. On le met à table chaque fois qu’on y est et qu’il ne fait pas la sieste. Et en général, on ne met rien sur sa tablette. Il observe nos assiettes et commence à trépigner d’intérêt, et alors, on lui propose quelque chose. Il semble content d’avoir un peu d’autonomie avec les morceaux, et parfois encore plus content quand son papa se dépêche de lui faire manger tout le pot de compote. En tout cas, ça marche plutôt bien. »
Et c’est bien là l’essentiel, n’est-ce pas : que le repas soit un plaisir pour tous les membres de la famille !
[1] Voir sur le site de LLL France le dossier Diversification alimentaire.
[2] Avec, dans presque tous, une partie « recettes » dont on peut interroger la pertinence : la DME nécessite-t-elle vraiment de préparer des plats exprès pour le bébé ? L’un de ses intérêts n’est-il pas plutôt de faire participer l’enfant à la table familiale ?
[3] http://www.diversificationalimentaire.com
[4] Brown A, Lee MD, Early influences on child satiety-responsiveness : the role of weaning style, Pediatric Obesity 2015 ; 10(1) : 57-66.
[5] Ferguson MC et al., The Impact of Following Solid Food Feeding Guides on BMI Among Infants : A Simulation Study, American Journal of Preventine Medicine 2019 ; 57(3) : 355-364.
[6] Perry LK et al., Highchair philosophers : the impact of seating context-dependent exploration on children’s naming biases, Developmental Science 2014 ; 17(5) : 757-765.
Paru dans le n° 104 de Spirale, « À table, les bébés ! », mars 2023.
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