Allaitement long ? Allaitement prolongé ? Allaitement non écourté ?

Allaitement long ? Allaitement prolongé ? Allaitement non écourté ?

On connaît les recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé en matière d’alimentation infantile : 6 mois d’allaitement exclusif, et poursuite de l’allaitement avec des aliments de complément jusqu’à 2 ans ou plus [1]. Chez nous, le guide de bonnes pratiques sur l’allaitement édité par l’HAS en 2006 [2] indique, dans les informations à donner aux parents : « Allaitement maternel durant 2 ans ou plus inclus dans l’alimentation physiologique du nourrisson. »

Pourtant, les bébés français allaités au-delà des premiers mois restent une petite minorité : d’après les certificats de santé du 9mois de 2017 [3] (derniers chiffres connus), ils étaient 22,8 % à être allaités plus de 6 mois ; et 13,1 % allaités plus de 12 mois d’après les certificats de santé du 24mois [4].

Mais d’abord, qu’entend-on par allaitement « long » ?

On pourrait dire, comme le pédiatre canadien Jack Newman, qu’il n’y a pas d’allaitements « longs », seulement des allaitements « raccourcis », et que ce que l’on considère comme « long » n’est que « normal » et « non écourté ».
Mais on est encore bien loin chez nous de cette vision des choses…

La question se pose donc : à partir de quelle durée considère-t-on un allaitement comme « long » ? Et là, les réponses peuvent être très variées.
Certaines mères s’attirent dès 4 mois la question : « Comment ? Tu allaites ENCORE ?! »

Pour d’autres, ce sera après 6 mois. En effet, la recommandation de l’OMS citée plus haut a commencé à se diffuser dans les médias et la société en général, mais de façon tronquée : c’est bien d’allaiter six mois, mais sûrement pas plus.

Pour d’autres encore, un allaitement long (sous-entendu trop long) consiste à dépasser le terme « normal » de l’allaitement, signifié par exemple par l’apparition des premières dents.

Enfin, et c’est la définition que j’adopte pour ma part, un allaitement long, c’est l’allaitement d’un enfant qui n’est manifestement plus un bébé, d’un bambin qui commence à trottiner (toddler en anglais), qui a donc en moyenne plus de 12 mois [5].

Mais pourquoi allaiter « longtemps » ?

Une étude a constaté que 76 % des mères qui avaient allaité longtemps n’avaient pas l’intention de le faire au départ, mais qu’elles avaient continué à allaiter parce qu’elles avaient pris conscience des bénéfices de la poursuite de l’allaitement long, et/ou parce que leur enfant aimait visiblement téter.

Les femmes interrogées par Emily Kubanek pour sa thèse en 2013 [6] avaient décidé de poursuivre l’allaitement soit au moment de l’échéance prévue au départ, soit au moment de l’introduction des solides, soit suite à la résolution des difficultés de départ.
Les raisons de poursuivre étaient les mêmes que les raisons de commencer, plus de nouvelles raisons découvertes au fil de l’allaitement : qualité du lien mère-enfant, plaisir des tétées, besoin exprimé par l’enfant, côtés pratiques (apaisement, endormissement, maternage facilité…).

Une mère explique : « Je pense que je continue parce que c’est important pour mon fils, et… qu’il me le demande. Il est évident que ça le fait se sentir mieux, il en parle beaucoup, et dit plein de choses gentilles à ce sujet. Je trouve que c’est un moyen commode de le réconforter et de l’apaiser. S’il se sent mal pour une raison ou pour une autre et qu’il ne sait pas toujours comment en parler, il nous suffit de prendre le temps de nous asseoir, et voilà. » [7]

De fait, la plupart des mères disent que ça s’est fait un jour après l’autre : pourquoi sevrer aujourd’hui plutôt qu’hier ou plutôt que demain ?! Et en effet, comme le dit Teresa Pitman [8], « au lieu de se demander pourquoi continuer à allaiter, ne serait-il pas plus juste de se demander ce qu’on gagnerait à arrêter ? »

Et même si, aux yeux de l’entourage, l’enfant peut sembler « trop grand » pour téter encore, ce n’est pas ainsi que le vit la mère. Comme le dit Dominique, « lorsqu’on allaite, on ne voit pas que nos enfants grandissent, on ne voit pas leurs jambes qui s’entassent sur le divan ou qui s’allongent près de nous quand c’est l’heure de les endormir, on ne voit que leur tête, leur tête qui à nos yeux reste petite, celle d’un jeune enfant apaisé par le sein de sa mère » [9].

Et les enfants, qu’en disent-ils ? Entre autres avantages, l’allaitement long présente celui de nous faire connaître l’opinion des principaux intéressés : les bambins allaités. Leurs paroles témoignent du plaisir qu’ils éprouvent, du réconfort que leur apporte la tétée (et parfois, d’un réel bon sens et d’une connaissance quasi scientifique des mécanismes de l’allaitement !). Grâce à ces mots d’enfants, l’on comprend mieux ce qu’est la poursuite de l’allaitement, combien il est lié au maternage et à quel point le respect fait partie de cette relation.
Dans une étude sur des mères australiennes allaitant des enfants de 2 ans et plus [10], on a interrogé les enfants, qui ont presque tous dit qu’ils tétaient parce qu’ils aimaient le lait de leur mère, que ça les rendait heureux et leur faisait du bien. Certains ont dit que c’était « aussi bon que le chocolat », voire « meilleur que la crème glacée » !

Les avantages santé

Même s’il ne représente sans doute pas la raison principale pour laquelle les femmes poursuivent l’allaitement au-delà des premiers mois, il n’en demeure pas moins que son impact sur la santé de l’enfant à court et long terme est indéniable.

Pratiquement inexistantes il y a encore quelques années, les études sur la composition du lait maternel après 12 mois se sont multipliées récemment.

Faite au départ pour savoir si les banques de lait pouvaient accepter le lait de femmes allaitant « au long cours », une étude américaine [11] a montré que du lait recueilli par des mères allaitant des enfants entre 11 et 17 mois avait, par rapport à du lait de moins de 12 mois, des taux significativement plus élevés de protéines, lactoferrine, lysozyme, immunoglobulines A, oligosaccharides et sodium ; des taux inchangés de lactose, graisses, fer et potassium ; seuls les taux de zinc et de calcium étaient plus bas.

Citons également une étude polonaise [12] qui a recherché le taux lacté de plusieurs sortes d’immunoglobulines (IgA, IgG et IgM) jusqu’à 48 mois, et a constaté que ce taux augmentait avec la durée de l’allaitement, et notamment après 2 ans.

Contrairement à ce que croient certains, le lait maternel après 3 ou 6 mois, ce n’est pas « que de l’eau » !

L’enfant continue à bénéficier de tous les facteurs anti-infectieux que contient le lait maternel. Il n’est donc pas étonnant de constater qu’il bénéficie d’une meilleure santé que s’il n’était plus allaité. Ainsi, une étude, faite en 2005 sur plus de 1 800 enfants canadiens [13], a montré que l’allaitement avait un impact positif qui se poursuivait pendant toute la seconde année, même lorsque l’enfant était placé dans un système de garde, et qu’il réduisait la fréquence des antibiothérapies pendant les 2,5 premières années de vie.

Pour ce qui est des effets à long terme, citons cette étude faite sur plus de 40 000 enfants japonais suivis de la naissance à 8 ans [14], qui a trouvé que plus ils avaient reçu du lait maternel pendant une longue période (au-delà de 6 mois), moins leur IMC (indice de masse corporelle) était élevé [15].

Et n’oublions pas l’impact de l’allaitement sur la santé de la mère, qui lui aussi est « dose-dépendant ». Ainsi, dans une étude de 2010 [16], par rapport aux femmes qui n’avaient pas allaité ou avaient allaité moins de 12 mois (durée cumulée des différents allaitements), le risque de cancer du sein était plus bas de 66,3 % chez celles qui avaient allaité entre 12 et 23 mois, de 87,4 % chez celles qui avaient allaité entre 24 et 35 mois, et de 94 % chez celles qui avaient allaité entre 36 et 47 mois. Pour chaque enfant allaité plus de douze mois, le risque était abaissé de presque moitié.

Le « problème » avec l’allaitement long

Pourtant, il n’est pas si facile d’allaiter longtemps en France. En effet, chez nous, dès que l’allaitement dépasse les tout premiers mois, la mère est assaillie de questions, de remarques, de critiques, d’interrogations… et soumise à rude pression : « Quand est-ce que tu arrêtes ? », « mais quand vas-tu lui donner autre chose ? », « ton lait ne doit plus lui suffire », « ça suffit comme ça, pas la peine de continuer », « là, vous vous faites plaisir, c’est tout », « vous êtes aveugle aux signes que vous envoie votre bébé disant qu’il veut arrêter de téter » (sic), « vous le rendez dépendant », « attention à l’inceste » (s’il s’agit d’un garçon), « vous allez en faire un homosexuel », « il risque d’avoir des TOC  plus tard »,… j’en passe, et des meilleures.

On craint pour l’autonomie et le bon développement de l’enfant. Savez-vous par exemple que beaucoup de psys, à la suite de Françoise Dolto, croient qu’il faut « castrer la langue du téton » pour que l’enfant accède au langage [17] ?!

On voit les mères qui allaitent longtemps comme abusives (le psychanalyste Jean-Pierre Winter disant qu’elles « mettent leurs enfants à leur service sexuel » [18] !) et/ou abusées, masochistes, dépressives ou « addicts » à l’allaitement. Voir par exemple l’article de Pascale Roman et Mathilde Dublineau [19] qui qualifie l’allaitement prolongé de « modalité antidépressive » et développe la notion d’ »allaitement addictif », l’enfant devenant alors « un moyen nécessairement indispensable à la poursuite d’une lactation dont la mère ne parvient pas à se sevrer »… Ou encore : « L’allaitement fonctionnerait alors comme un processus vampirique par lequel la mère tenterait de se revivifier, afin de parer à ses propres déprivations narcissiques. » Rien que ça !

Et malheureusement, c’est toute la société (entourage familial, amical, professionnel, travailleurs sociaux, professionnels de santé, professionnels de la petite enfance, juges aux affaires familiales…) qui est imprégnée de ces idées fausses auxquelles se heurtent les femmes qui allaitent plus longtemps que la norme sociale.

Faire quelque chose qui n’est pas dans la norme culturelle de la société où l’on vit n’est jamais confortable, car cela implique le risque d’être stigmatisé par toutes les autorités, qu’elles soient médicales, sociales ou psychologiques. Où qu’elle aille, quoi qu’elle fasse, quoi qu’elle lise, la mère d’un bambin allaité risque de rencontrer de l’incompréhension, voire de l’hostilité.

Si elle se plaint à son entourage ou à son médecin d’être fatiguée, que pensez-vous qu’elle va avoir comme réponse ? Arrêtez l’allaitement !

Si elle est mère célibataire et qu’elle demande de l’aide aux services sociaux ou qu’elle consulte un psychologue, le fait qu’elle allaite son bambin fera très mauvais effet dans le tableau, c’est le moins qu’on puisse dire !

Si son enfant a plus de mal à se séparer d’elle que le petit voisin, on dira que c’est anormal et que c’est la faute à l’allaitement…

Déjà en 1987, Morse et Harrison avaient développé leur théorie de la PSS (Pression Sociale pour Sevrer, en anglais Social Coercion for Weaning), montrant comment le soutien à l’allaitement diminue à partir de la période du post-partum pour disparaître complétement vers 6-8 mois, et se transformer, à mesure que le bébé approche des 12 mois, en une pression croissante pour le sevrage [20].

Résister à la PSS !

Pour résister à cette PSS [21], il faut avoir une certaine force d’âme, être convaincue de « bien faire », avoir le soutien, ou au moins la neutralité bienveillante, du papa, et, si possible, ne pas écouter les commentaires négatifs. C’est évidemment plus facile à dire qu’à faire, surtout lorsqu’il s’agit de sa meilleure amie ou de sa mère qu’on voit trois fois par semaine… Mais en ce domaine, il y a vraiment un cercle vicieux à renverser. Car plus on écoute les critiques, moins on se sent sûre de soi et de ce qu’on fait… et plus on attire ce genre de critiques ! Alors qu’au contraire, si les autres nous sentent claire dans notre décision, l’expérience montre qu’ils seront moins tentés de s’introduire dans la faille.

Et très important : ne pas rester seule. Quand on allaite longtemps dans une société où c’est très loin d’être la norme, il est vital de pouvoir rencontrer d’autres mères dans ce cas, pour se sentir moins « extraterrestre », pouvoir discuter du quotidien avec les enfants, des problèmes comme des joies. Un bon endroit pour cela, ce sont les « réunions bambins » que proposent nombre de groupes de La Leche League. Sans oublier les divers forums, listes de discussion, groupes Facebook, où l’on peut également échanger et trouver du soutien. Un soutien certes virtuel, mais quand même bien précieux !

Illustration : Aure Lhermite.
Paru sous le titre « Allaiter au-delà des premiers mois » dans la revue Sages-femmes, 2021, 20(5), pp. 23-26.

[1] Voir la Stratégie mondiale pour l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant.
[2] Haute Autorité de Santé, Favoriser l’allaitement maternel. Processus – Évaluation, juin 2006.
[3] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-10/DD53%20Sources%20et%20methodes-CS9.pdf (pages 91-93).
[4] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-10/DD54%20Sources%20et%20methodes-CS24.pdf (pages 84-86)
[5] Une très intéressante revue de la littérature sur le sujet (Meredith Brockway & Lorraine Venturato, Breastfeeding beyond infancy : a concept analysis, Journal of Advanced Nursing 2016 ; 72(9) : 2003–2015) parle justement de « breastfeeding beyond infancy », c’est-à-dire d’ »allaitement au-delà du stade bébé », et plus précisément après 12 mois.
[6] Emily Kubanek, La décision d’un allaitement maternel conforme aux recommandations de l’OMS. Etude qualitative auprès de 17 femmes primipares allaitant un enfant de plus de 6 mois. Thèse de médecine, Université Claude-Bernard-Lyon-I, 2013.
[7] Témoignage dans Militant lactivism ? Attachment parenting and intensive motherhood in the UK and France, de Charlotte Faircloth, Berghahn Books, 2013.
[8] Breastfeeding today, mars 2015.
[9] Témoignage paru dans La Voie lactée, hiver 2016.
[10] Gribble KD, « As good as chocolate » and « better than ice cream » : how toddler, and older, breastfeeders experience breastfeeding, Early Child Dev Care 2009 ; 179(8) : 1067-82.
[11] Perrin MT et al., A longitudinal study of human milk composition in the second year postpartum: implications for human milk banking, Matern Child Nutr 2017 ; 13(1) : e12239.
[12] Czosnykowska-Lukacka M et al., Changes in human milk immunoglobulin profile during prolonged lactation, Front Pediatr 2020 ; 8 : 428.
[13] Dubois L, Girard M., Breast-feeding, day-care attendance and the frequency of antibiotic treatments from 1,5 to 5 years : a population-based longitudinal study in Canada, Social Science & Medicine 2005 ; 60(9) : 2035-44.
[14] Jwa SC, Fujiwara T, Kondo N, Latent protective effects of breastfeeding on late childhood overweight and obesity : a nationwide prospective study, Obesity 2014 ; 22(6) : 1527-37.
[15] Vous trouverez beaucoup d’autres études sur le sujet dans mon ouvrage Allaiter plus longtemps (éditions Jouvence, 2017).
[16] De Silva M et al., Prolonged breastfeeding reduces risk of breast cancer in Sri Lankan women : a case-control study, Cancer Epidemiol 2010 ; 34(3) : 267-73.
[17] Voir par exemple l’article de Claude Halmos paru dans Psychologies en 2010 où elle écrit : « Le sevrage est la condition pour que l’enfant puisse parler. Ce que l’on ne peut faire ‘la bouche pleine’, comme le dit si bien la sagesse populaire (bien des retards de langage renvoient à des ‘ratés’ de cette période). »
[18] Colloque de l’association La cause des bébés, Montrouge, 2005.
[19] L’allaitement prolongé comme modalité antidépressive, Perspectives psychiatriques 2006 ; 45(3) : 221-25.
[20] Morse JM & Harrison MJ, Social coercion for weaning, Journal of Nurse-Midwifery 1987 ; 32(4) : 205–210.
[21] Pour répondre aux questions sur l’allaitement (long en particulier) et rire un peu : http://fr.newsmonkey.be/article/4883

A propos de l'auteur

Claude Didierjean-Jouveau

Animatrice de La Leche League France, rédactrice en chef de la revue "Allaiter aujourd'hui !" Auteur de plusieurs ouvrages sur l'allaitement, la naissance et le maternage.

1 commentaire

  1. Chrystele

    J’ai allaité longtemps mon 3ème enfant, et effectivement j’ai eu droit à tout ces commentaires et ces comparaisons. Je n’ai jamais répondu aux critiques, mais j’ai beaucoup écouté, et j’ai compris que les personnes me parlaient d’elles-mêmes et de leur ressenti et leurs peurs. C’est donc leur problème et non le mien. J’ai toujours fait mes choix avec l’envie d’expérimenter ma féminité et ma maternité en dehors des préjugés et des raccourcis qui visaient à me libérer de ma condition de simple femme ou à interpréter mon choix d’allaiter comme quelque chose qu’il n’est pas. L’allaitement long m’a permis le maternage long, qui est, je pense, avantageux pour le bon développement d’un enfant. Il apporte un socle de confiance en soi et envers les parents. Car l’allaitement long est aussi une histoire de parentalité où le père à toute sa place. N’en déplaise à certains.

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