Les groupes de mères, ça sert à quoi ?
Intervention faite à Bobigny en 1997 devant des professionnels de la petite enfance (essentiellement personnels de PMI).
Je vais vous parler du rôle des groupes de mères dans l’information et le soutien à l’allaitement maternel.
Dans mon exposé, je parlerai surtout des groupes de La Leche League.
Non pas qu’il n’existe pas d’autres associations qui fassent également du bon travail. Mais c’est tout simplement qu’ayant fréquenté les groupes LLL depuis près de vingt ans et étant animatrice depuis plus de dix ans, ce sont eux que je connais le mieux. Et aussi du fait que de par son ancienneté – plus de 40 ans depuis sa fondation – , La Leche League a vraiment été l’initiatrice de tous ces groupes.
Pour commencer, je voudrais vous passer une vidéo d’une dizaine de minutes sur les groupes de mères.
Cette vidéo a été faite il y a quelques années dans le cadre d’une formation donnée, à l’initiative de l’Unicef, à des professionnels de santé du Gabon et de Côte d’Ivoire.
En effet, comme dans beaucoup de pays du Tiers-Monde, on assiste dans ces deux pays à une chute brutale de l’allaitement maternel, surtout dans les zones urbaines (20 % d’allaitement à la naissance à Libreville, la capitale du Gabon), avec les conséquences dramatiques que l’on sait sur la mortalité et la morbidité infantiles.
Cela entraîne bien sûr une rupture de la transmission des savoirs en matière d’allaitement maternel, et justifie donc la création de groupes de mères sur le modèle des groupes LLL.
Dans une société où presque toutes les femmes allaiteraient (comme par exemple dans les pays scandinaves – je rappelle pour mémoire les chiffres norvégiens : 98 % d’allaitement à la naissance, 60 % à 6 mois, 35 % à 9 mois), la nécessité de groupes de soutien ne se ferait pas ou plus sentir. Car à la limite, dans ce cas, c’est toute la société qui est un groupe de soutien. La femme qui accouche de son premier enfant a toujours vu autour d’elle, depuis qu’elle est petite, des femmes allaiter : les femmes de sa famille, ses voisines, ses amies, ses collègues de travail. Elle va trouver spontanément, parce qu’elle a vu faire, les bons gestes, les bons rythmes. Elle ne va pas se poser de questions à propos de la qualité ou de la quantité de son lait.
Au contraire, une femme qui n’aura pratiquement jamais vu de bébé allaité avant d’accoucher – ce qui est le cas de la majorité des nouvelles mères dans nos sociétés – risque par ignorance d’adopter des conduites d’allaitement qui la mèneront tout droit à l’échec.
D’où l’utilité des groupes de mères, reconnue depuis plusieurs années par les instances internationales comme l’Unicef et l’Organisation Mondiale de la Santé. Rappelons ici que la dixième des conditions proposées par l’Unicef et l’OMS aux professionnels de santé pour la réussite de l’allaitement maternel est la suivante : Encourager la constitution d’associations de soutien à l’allaitement maternel, et leur adresser les mères dès leur sortie de l’hôpital ou de la clinique
Pourquoi assister à des réunions LLL ? Qu’y trouve-t-on qu’on ne trouve pas ailleurs ?
Tout d’abord, on y trouve des informations, qu’on soit primipare ou qu’on ait rencontré des difficultés d’allaitement pour ses aînés, difficultés qu’on ne souhaite pas reproduire pour un nouvel enfant. Ces informations, on ne les a pas trouvées ailleurs, ou elles sont de nature différente.
Ensuite, on peut y trouver l’expérience d’autres femmes ayant vécu une histoire qui ressemble à la sienne : bébé prématuré, naissance par césarienne, jumeaux, etc., etc.
Surtout, on y sera écoutée sans être jugée, par des femmes qui ne représentent pas un pouvoir, mais une sorte de communauté fraternelle.
La base des groupes de soutien à l’allaitement, c’est l’aide de mère à mère.
L’aide de mère à mère, c’est une oreille attentive, un sourire de compréhension, la réassurance de la normalité de son vécu.
Je voudrais insister sur ce dernier point. Nous vivons dans une société où il est considéré comme normal de laisser pleurer son bébé plusieurs nuits de suite pour qu’il « fasse ses nuits » le plus tôt possible, où l’on encourage l’autonomie précoce des bébés d’1 mois, où l’on conseille aux parents de laisser leur bébé le plus tôt possible pour « retrouver une vie de couple », etc., etc. Si la mère n’a pas envie de ça, si son bébé se réveille encore la nuit à 3 mois, s’il semble avoir besoin d’être souvent dans ses bras voire au sein, elle va se demander s’il n’y a pas un problème quelque part, si son bébé et elle sont bien normaux. D’autant que, très souvent, son entourage va lui renvoyer que justement non, ce n’est pas normal, que c’est même peut-être bien pathologique (ton lait n’est pas bon, ton lait n’est pas suffisant, ce bébé est trop dépendant de toi, etc., etc.). Rencontrer dans les réunions de groupe d’autres mères et d’autres bébés qui se comportent comme elle et son bébé, va la rassurer et la conforter dans ce qu’elle fait. Entendre une autre mère dire : « Mon bébé faisait ça aussi au même âge, c’est normal », lui permettra de voir qu’il ne s’agit pas d’un problème mais d’un comportement normal du bébé, à condition qu’on ait respecté ses besoins au lieu de chercher à le dresser.
Il arrive souvent que la mère arrive au début de la réunion avec une série de questions par rapport à ce qu’elle pense être des problèmes, et qu’à la fin de la réunion, sans même avoir posé ses questions, simplement d’avoir entendu les échanges entre les mères, ses questions se soient évanouies parce qu’elle s’est rendu compte que ce qu’elle croyait être des problèmes n’en sont pas !
L’aide de mère à mère, par l’écoute qu’elle offre, encourage la mère à décider elle-même de ce qui est le mieux pour elle et son bébé. Et même si la mère n’arrive pas à trouver de solution immédiate à son problème, le groupe est source de réconfort et d’empathie : dans une telle situation, le simple fait de pouvoir parler de ses difficultés en ayant la certitude d’être écoutée peut être ce qui permettra à la mère de les vivre avec une certaine sérénité.
Je pense par exemple à une mère qui a raconté au groupe que le père de son bébé, ne supportant pas les pleurs de celui-ci ne serait-ce qu’une seconde, lui renvoyait l’image de mauvaise mère. En général, on entend plutôt l’inverse : un père qui reproche à la mère de trop s’occuper du bébé ! Toujours est-il qu’elle vivait très mal cette situation. Le groupe n’avait pas vraiment de solution à lui proposer, car manifestement cela venait de quelque chose de profond dans la problématique de cet homme. Mais le fait d’avoir pu en parler, d’avoir ressenti l’empathie des femmes présentes, de s’être entendu dire que « mais si, elle était une bonne mère pour son bébé », lui a permis de vivre un peu moins mal cette situation.
Le soutien de mère à mère a un impact important sur l’allaitement. Combien de mères ont sevré rapidement, voire n’ont pas allaité du tout, simplement parce qu’elles n’avaient jamais eu l’occasion de rencontrer d’autres femmes qui allaitent ? Ou parce qu’elles n’avaient aucun soutien dans leur entourage proche ? L’allaitement et le maternage s’apprennent par l’exemple. Une mère qui n’a personne comme modèle, personne avec qui comparer son vécu et ses sentiments sur l’allaitement aura beaucoup plus de difficultés pour allaiter.
Si elle connaît une ou deux personnes qui ont allaité, elle aura déjà une meilleure information. Mais cette information sera par force limitée à l’expérience personnelle des femmes en question.
Alors qu’un groupe, surtout s’il fait partie d’une organisation internationale existant depuis plusieurs dizaines d’années, peut offrir des informations et un soutien basé sur l’expérience de milliers et de milliers de personnes, et donc proposer à la mère des modèles différents parmi lesquels elle aura toute latitude de choisir ce qui lui semblera le plus approprié à son cas personnel et à celui de son bébé.
Pour illustrer la force de l’exemple, je voudrais vous raconter une petite histoire qui est arrivée il y a quelques années au zoo de Toledo, dans l’Ohio. Malaika, un gorille femelle, avait été incapable d’allaiter son premier petit, ne l’ayant jamais vu faire. Pendant sa deuxième grossesse, le responsable du zoo eut l’idée de demander à une de ses amies de venir avec son bébé et de l’allaiter devant la cage de Malaika. Celle-ci parut très intéressée par le spectacle. Toujours est-il qu’elle pu allaiter son petit avec succès. Comme le dit la mère en question : « Les gorilles apprennent de la même façon que les humains : en regardant. Je considère ce que j’ai fait comme l’aide d’une mère à une autre mère » ! Comme quoi, même chez les animaux, l’allaitement n’est pas seulement naturel, mais aussi culturel (si l’on peut appeler culture le fait d’être enfermé dans un zoo…). C’est à plus forte raison vrai chez les êtres humains.
Assister à des réunions de partage d’expérience permet d’aborder des domaines très variés, que les mères n’oseraient peut-être pas aborder avec un professionnel de santé de peur de lui faire perdre son temps. Si elle sait ses préoccupations susceptibles d’être partagées par d’autres, une femme pourra aborder des sujets aussi variés que : comment arriver à se reposer suffisamment après l’arrivée du bébé, comment allaiter allongée, où trouver un soutien-gorge d’allaitement pratique et pas cher, comment tirer son lait à la main ou avec un tire-lait, comment intégrer les tétées dans la vie quotidienne, comment boire et manger quand on allaite, la fréquence des selles du bébé, etc. etc.
De plus, la variété des femmes présentes, la diversité des âges des bébés, va faire que chacune va être amenée à se poser des questions sur des conduites auxquelles elle n’avait jamais songé auparavant. Par exemple, une femme enceinte de son premier enfant assistant à sa première réunion, y verra un ou deux bambins toujours allaités, ou une mère qui continue à allaiter alors qu’elle a repris son travail.
Plusieurs travaux de sociologues ont mesuré l’impact des groupes de soutien sur l’allaitement. La sociologue Alice Ladas a étudié des femmes américaines qui assistaient à des réunions de La Leche League et les a comparées à des femmes présentant des profils similaires, qui souhaitaient allaiter mais n’avaient pas bénéficié de cette forme de soutien. Celles qui assistaient aux réunions LLL avaient de meilleures connaissances pratiques en matière d’allaitement, et avaient beaucoup plus confiance en elles. Dans un rapport fait pour la Harvard Medical School, Silverman et Murrow ont conclu que la dynamique du groupe apporte un sentiment de compétence et de normalité qui contribue de façon importante au succès de l’allaitement. Enfin Sloper a montré que les femmes bénéficiant du soutien d’un groupe allaitaient plus longtemps.
Un autre intérêt des groupes de mères, c’est l’augmentation de la confiance en soi qu’ils induisent chez les nouvelles mères.
Une nouvelle mère est souvent très vulnérable aux avis d’autrui. Et tout le monde se sent autorisé à lui donner son avis justement ! Fais ceci, ne fais pas cela… Avis souvent contradictoires qui plus est. Le groupe de mères au contraire ne donne pas d’avis, ne fait pas de prescription, il donne des pistes possibles, des façons de faire qui ont marché pour telle ou telle. À la mère d’observer son bébé et de voir ce qui marche bien pour elle et lui. Le groupe de mères et son animatrice donnent à la mère sa place d’expert en ce qui concerne son propre bébé. C’est elle qui sait le mieux ce qui leur convient.
De plus, une mère qui revient régulièrement aux réunions mois après mois parce qu’elle continue à y trouver un bénéfice, finit sans s’en rendre compte par se trouver dans la position de celle qui aide les autres mères. Elle aussi se retrouve à faire de l’aide de mère à mère. Et cela aussi est très valorisant pour elle.
Comment fonctionnent les groupes de soutien et quel est le rôle de l’animatrice ?
Les réunions ne sont ni des conférences ni des cours. Il s’agit d’échanges, de partages d’expériences. Comme vous l’avez vu dans la vidéo et comme vous le verrez si vous venez un jour assister à une réunion (je vous y invite, mais pas toutes à la fois !), les réunions ont le plus souvent lieu au domicile de l’une des mères. Les femmes sont assises en rond avec leurs bébés. L’animatrice est une mère parmi les autres. Elle lance la discussion, veille à ce que toutes les mères qui souhaitent parler puissent le faire. Elle donne aussi des informations, mais en aucun cas elle n’est celle qui sait par rapport aux autres qui ne sauraient pas. Elle renvoie sans cesse les mères à leur propre choix. Elle ne donne pas de réponse toute faite, mais aide les mères à trouver leur propre solution. De même, aux difficultés des unes, d’autres répondent en partant essentiellement de leur propre expérience.
L’animatrice est une mère qui a elle-même une bonne expérience d’allaitement avec au moins un de ses enfants. Elle s’est formée en matière d’allaitement, d’écoute et de dynamique de groupe auprès d’animatrices expérimentées. Son rôle est original et complémentaire de celui des professionnels de santé : c’est celui de l’aide de mère à mère.
C’est son expérience de mère allaitante qui compte, plus que ses connaissances théoriques (même si elle s’appuie sur la masse de connaissances accumulées par l’organisation). La formation d’animatrice n’est donc pas réservée aux intellectuelles. La Leche League International a d’ailleurs aujourd’hui des programmes qui permettent à des mères peu scolarisées de se former pour aider d’autres mères de leur communauté à allaiter.
L’animatrice donne des informations, pas seulement théoriques mais aussi pratiques. Elle ne donne pas de conseils, elle ne fait pas de prescription. Face à une question d’une mère, elle va lui donner toute l’information dont elle dispose sur le sujet, elle lui dira que pour beaucoup de mères, telle chose a marché, que d’autres se sont bien trouvées de faire de telle façon, mais elle ne dira jamais : faites ceci, ne faites pas cela.
Par exemple, une femme téléphone parce qu’elle doit reprendre son travail d’ici 1 mois. Elle a un poste d’institutrice à mi-temps. Son bébé aura alors 2 mois 1/2. Elle se demande comment le sevrer. L’animatrice commence par répondre à la question de la mère sur comment sevrer. Puis elle lui demande si elle veut sevrer parce qu’elle ne souhaite pas allaiter plus longtemps, ou parce qu’elle ne pense pas pouvoir faire autrement en raison de la reprise de son travail. Si c’est le cas, l’animatrice l’informe alors sur les possibilités de concilier travail et allaitement. C’est ensuite à la mère de faire son choix; mais un choix pleinement informé, puisqu’elle aura alors toutes les données en main.
En aucun cas, l’animatrice ou le groupe ne se substitue aux professionnels de santé. Par contre ils peuvent aider les mères à mieux communiquer avec eux.
Prenons l’exemple d’une mère qui avait eu une césarienne en urgence pour son premier bébé. En plus des difficultés de mise en route liées à la césarienne, elle avait dû surmonter des difficultés liées à des mamelons ombiliqués, à un engorgement et s’était disputée avec les auxiliaires qui lui proposaient de donner le biberon. Elle avait été aidée par le groupe et avait réussi à poursuivre l’allaitement. À l’occasion de sa deuxième grossesse, elle parle dans le groupe de sa peur de revivre la même chose, d’avoir à nouveau une césarienne, comme le médecin le lui a presqu’affirmé. L’animatrice lui demande si elle a parlé à son médecin de son désir d’accoucher par voie basse, et elle lui rappelle les choses à savoir pour bien démarrer l’allaitement, qu’elle ait ou non une césarienne. Quelques mois plus tard, la femme revient avec son bébé. La naissance a eu lieu dans la même maternité que pour le premier, elle a pu exprimer ses craintes et ses désirs, elle n’a pas eu de césarienne et l’allaitement se passe à merveille.
Comme je l’ai dit plus haut, l’aide que peut apporter l’animatrice et le groupe a ses limites. Même si les réunions peuvent avoir un effet thérapeutique, les groupes ne sont pas des groupes thérapeutiques. L’animatrice n’est ni médecin, ni psychologue, ni conseillère conjugale. Par contre, elle peut suggérer à la mère de se faire aider par un thérapeute, lorsque manifestement ses problèmes relèvent de l’aide d’un professionnel.
Pour conclure, je voudrais dire que les groupes de soutien et les professionnels de santé ont le même but, mais que le soutien que peut apporter une femme à une autre femme est d’une nature totalement différente du soutien prodigué par les professionnels de santé. Ces derniers sont dépositaires d’un pouvoir médical, et leur discours est de l’ordre de la prescription. Or en matière d’allaitement, la majeure partie des informations dont a besoin une femme est d’ordre pratique, non d’ordre médical.
En tant que représentante d’une association de mères, je sais le rôle primordial que peuvent jouer les professionnels de santé pour le succès ou l’échec de l’allaitement, notamment au démarrage à la maternité. J’espère que de plus en plus, de leur côté, les professionnels de santé sauront reconnaître le rôle tout aussi primordial des groupes de soutien, et que tous ensemble, nous saurons agir de concert pour le plus grand bien des mères et de leurs bébés.
Voir aussi :