Mettre une (bonne) culture au service de la nature
Éditorial du n° 128 d’Allaiter aujourd’hui, juillet 2021.
L’allaitement, nature ou culture ?
Voilà bien un débat qu’il est difficile (impossible ?) de trancher, tant les arguments des deux côtés paraissent fondés.
Pour le côté « nature », il y a le fait que les humains sont « des mammifères comme les autres », avec des bébés qui « savent téter » et des mères « qui savent allaiter ». Pour Suzanne Colson (voir la nouvelle édition de son ouvrage sur le Biological Nurturing [1]), il suffirait de modifier l’environnement des femmes qui donnent naissance pour qu’elles retrouvent « la capacité génétique de nourrir leur progéniture ». Elle s’élève contre la prétention des professionnels à vouloir leur enseigner « des positions, procédés et techniques », et à inhiber, ce faisant, « les gestes maternels spontanés ».
Nul doute que cette approche, si elle se généralisait, changerait sûrement beaucoup le panorama de l’allaitement dans nos pays, au moins à son démarrage.
Mais cela suffirait-il à changer notre « culture du biberon » en une « culture de l’allaitement » ?
Cela empêcherait-il cette culture du non-allaitement, ou cette non-culture de l’allaitement, de peser sur les mères allaitantes en faisant en sorte que tout problème, petit ou grand, n’appelle comme solution que l’arrêt de l’allaitement ; que tout un chacun se croit autorisé à donner son « conseil », à faire sa remarque, à critiquer (voire à gifler…) ; qu’allaiter au-delà des premiers mois soit un tel parcours de la combattante…
Je ne le pense pas.
Et c’est là que l’aide de mère à mère telle que la pratiquent les animatrices LLL depuis des décennies [2] prend tout son sens. Elles ne sont pas là pour enseigner des techniques, pour dire de faire comme ci ou comme ça. Elles sont là pour donner à la mère sa place d’ »experte » de son bébé, pour lui permettre de révéler sa capacité à allaiter au contact d’autres mères allaitantes. Et pour créer autour d’elle un réseau, une « contre-culture », un monde où l’allaitement est normal, possible, où les problèmes, s’ils surviennent, ont des solutions, où l’on n’est pas mal vue parce qu’on allaite (encore) son bambin…
Cette façon de mettre une (bonne) culture au service de la nature, c’est bien la marque de fabrique de LLL, et ça le restera tant que ce sera nécessaire.
Illustration : Alma Mater, Edvard Munch
[1] L’allaitement instinctif, éditions Ressources primordiales, 2021.
[2] La Leche League fêtera en octobre prochain son 65e anniversaire.