Secrets d’allaitement de mères du monde entier
Traduction de : Secrets Of Breast-Feeding From Global Moms In The Know, écrit par Michaeleen Doucleff, 2017
À bien des égards, être parent d’un nouveau-né semble instinctif.
Nous voyons un petit bébé et nous avons envie de le tenir dans nos bras. De le serrer contre nous et de l’embrasser. Rien que son odeur semble magique.
Beaucoup d’entre nous pensent que c’est pareil pour l’allaitement.
« J’avais cette idée avant la naissance de mon premier enfant, explique Brooke Scelza, anthropologue évolutionniste à l’Université de Los Angeles, Californie. Je pensais vraiment : Oh, je vais comprendre ça. Comment cela pourrait-il être difficile ? »
Bien que l’allaitement soit facile pour certaines femmes, pour beaucoup de nouvelles mères – dont Scelza –, c’est un combat. « J’ai été choquée de voir à quel point c’était difficile », dit-elle.
Dans une enquête menée il y a quelques années, 92 % des femmes ont déclaré avoir eu des problèmes au cours des premiers jours d’allaitement. Elles n’arrivaient pas à ce que le bébé prenne le sein. Elles avaient mal. Des mamelons douloureux. Et elles avaient peur de ne pas produire assez de lait.
« C’est tout simplement surprenant quand on sait que l’allaitement était une fonction essentielle pour la survie de l’enfant dans le passé et que, si vous n’y arriviez pas, votre bébé pouvait avoir de très gros problèmes », dit Scelza.
C’est comme si, aux États-Unis, nous avions perdu l’instinct d’allaiter. Cette société occidentale a en quelque sorte tout gâché. Scelza voulait comprendre pourquoi : que faisons-nous de mal ?
Et donc, il y a quelques années, elle s’est rendue dans un endroit où vivent certaines des meilleures mères allaitantes au monde.
Dans le désert au nord de la Namibie, il existe un groupe ethnique qui vit en grande partie isolé des villes modernes. On les appelle les Himbas, ils habitent dans des huttes de terre et vivent des produits de la terre.
« Ce sont essentiellement des éleveurs de bétail, dit Scelza. Mais ils ont aussi des jardins où ils cultivent du maïs, du sorgho et des citrouilles. »
Les femmes accouchent encore à la maison. Et toutes les mères allaitent.
« Je n’ai encore jamais rencontré de femme qui ne pouvait pas du tout allaiter, dit Scelza. Certaines ont des problèmes de production, et finissent par compléter avec du lait de chèvre, facile à se procurer. Mais à la base, personne n’utilise de lait infantile, de biberons ou quoi que ce soit de ce genre. »
Pour les femmes Himbas, l’allaitement semble simple et facile, dit Scelza. Elles le font même en marchant.
« Les femmes vont porter les bébés avec elles sur le dos, et si le bébé pleure, elles le sortent du portage, le nourrissent, puis le remettent sur leur dos », dit-elle.
Scelza et d’autres anthropologues ont proposé plusieurs hypothèses pour expliquer pourquoi les femmes Himbas et les femmes d’autres cultures traditionnelles réussissent si bien à allaiter.
Une idée est que la mère et son nouveau-né ont un contact prolongé et ininterrompu juste après la naissance. Comme les femmes sont à la maison, il n’y a pas de médecins ni d’infirmières qui emmènent l’enfant pour le peser, prendre ses empreintes digitales ou faire des tests. Ce contact permettrait aux instincts de succion du nouveau-né de s’exercer, selon les chercheurs.
« Les agriculteurs savent que, chez les animaux de ferme, la séparation de la mère et de son ou ses petits entraîne… une incapacité du petit à téter », écrit l’anthropologue Meredith Small dans son livre Our Babies, Ourselves : How Biology and Culture Shape the Way We Parent.
« Nous n’avons pris conscience que récemment du fait que les bébés humains ont le même type de réflexes, conçus pour sceller le pacte entre la mère et l’enfant juste après la naissance, poursuit Small. Mais si vous éloignez le bébé de la mère pendant les premières heures, vous pouvez faire dérailler tout le processus. »
La deuxième hypothèse est que les femmes Himbas apprennent comment allaiter tout au long de leur enfance. Parce qu’elles voient leurs mères, leurs sœurs et leurs amies allaiter en grandissant.
« L’allaitement en public n’est pas du tout stigmatisé », dit Scelza.
Et donc, au moment où elles ont leurs propres bébés, les femmes Himbas savent quoi faire, et cela semble instinctif. Ici, aux États-Unis, on voit rarement des mères allaiter. Les femmes n’apprennent donc jamais vraiment.
Eh bien, il s’avère que ces deux hypothèses ne sont pas tout à fait exactes.
« C’est exactement ce que je pensais qu’il se passait jusqu’à ce que je commence à parler aux femmes Himbas », dit Scelza.
Il y a quelques années, elle a interrogé 30 femmes Himbas sur leurs expériences d’allaitement, en particulier pendant les premiers jours suivant la naissance. Et devinez quoi ? Les femmes Himbas ressemblent beaucoup aux femmes américaines.
« Beaucoup des femmes à qui j’ai parlé ont eu beaucoup de mal à apprendre comment allaiter », dit-elle.
Les deux-tiers ont déclaré avoir eu des problèmes au début, comme de la douleur, de la peur, des difficultés à mettre le bébé au sein et des inquiétudes concernant leur production de lait – exactement comme les mères américaines.
Et leurs problèmes allaient au-delà de l’allaitement.
« La plupart des femmes m’ont dit qu’elles avaient peu de connaissances sur les soins aux nourrissons, sur comment tenir les bébés ou comment s’assurer qu’ils dorment en toute sécurité. »
Mais alors, comment les Himbas surmontent-elles ces problèmes ? Elles ont une arme secrète que beaucoup de femmes américaines n’ont pas, dit Scelza : les grands-mères.
« Lorsqu’une femme va accoucher, elle va habiter chez sa mère dans le dernier trimestre de sa grossesse et y reste pendant des mois après la naissance », dit-elle.
Et la maman de la nouvelle maman – la grand-mère – lui montre tout ce qu’elle doit savoir sur l’allaitement et les soins aux nourrissons.
« Leurs mères dorment en fait dans la hutte avec elles après la naissance, et elles réveillent la nouvelle maman en disant : « Il est temps de nourrir ton bébé ! Il est temps de nourrir ton bébé ! » », s’exclame Scelza.
Ce n’est donc pas que nous avons perdu l’instinct naturel de l’allaitement. Mais nous n’avons plus de grand-mère autour de nous, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, pour nous apprendre. Nous avons perdu les conseils. Nous avons perdu le soutien.
« Lorsque j’ai commencé à lire à propos de cette [pratique Himba], j’ai trouvé de nombreux exemples de cela dans tellement de cultures », dit Scelza.
Par exemple, il y a un petit groupe ethnique en Côte d’Ivoire, appelé les Beng. Dans leur communauté, une femme apprend à allaiter auprès d’autres mères, écrit l’anthropologue Alma Gottlieb dans son livre The Afterlife Is Where We Come From.
« Au cours des premières semaines, une femme nouvellement accouchée – en particulier si elle est mère pour la première fois (…) a un flux constant de visiteurs, en particulier des femmes », écrit Gottlieb. « La plupart ont elles-mêmes allaité de nombreux bébés et partagent spontanément leur sagesse en matière d’allaitement. Grâce à elles, une nouvelle mère est rapidement conditionnée à recevoir une série presque continue de conseils d’allaitement dispensés par des femmes plus expérimentées. »
Dans de nombreuses cultures asiatiques, les femmes ont traditionnellement pratiqué ce qu’on appelle « le mois d’or » ou « s’asseoir un mois », zuo yue zi en mandarin. Pendant 30 jours, la femme reste confinée chez elle et est prise en charge par les grands-mères, les belles-mères et les tantes.
Ces femmes cuisinent et aident la nouvelle maman à se remettre de l’accouchement. Elles lui apprennent également comment allaiter.
« Les chercheurs parlent souvent de cette période comme d’un moment de récupération, dit Scelza. Pour ma part, je suis de plus en plus encline à la voir comme une période critique d’apprentissage pour les nouvelles mères. »
Il n’est donc pas étrange que les femmes américaines aient du mal à allaiter. Le contraire serait étonnant. Les femmes ont des problèmes d’allaitement partout. Les mères ont évolué pour avoir besoin d’aide et de conseils.
« Je pense qu’aux États-Unis, il y a une énorme pression sur les femmes pour réussir à allaiter, et elles ont l’impression que, si elles n’y arrivent pas, elles ont échoué en tant que mère », dit Scelza. Alors que les femmes Himbas ne pensent pas que les difficultés d’allaitement sont un gros problème.
« Si [le bébé] avait du mal à prendre le sein, elles disaient simplement : « Ouais, cela fait partie de ce que tu dois apprendre si tu vas allaiter. » Elles ne parlaient pas d’échec. »