Reconnaître « son » bébé
En 2013, j’ai chroniqué dans le n° 38 de Grandir Autrement l’ouvrage de Gilles Verdiani, Mon métier de père. J’y posais la question suivante : et si les questionnements, les doutes, les joies et les galères d’un père « paternant » n’étaient pas différents de ceux d’une mère « maternante » ? J’intitulai ma chronique, de façon quelque peu provocatrice : « Les pères sont des mères comme les autres ! »
Une étude datant justement de 2013 et une autre toute récente sont venues raviver cette interrogation chez moi.
Une équipe de l’Université de Lyon/Saint-Etienne, dont le bio-acousticien Nicolas Mathevon, a étudié vingt-neuf parents et leur bébé âgé de 3 mois (quinze de Saint-Étienne et quatorze du Congo, afin d’éviter un quelconque biais culturel) 1.
Au départ, les pères comme les mères étaient nombreux à penser qu’ils ne reconnaîtraient pas les cris de leur enfant parmi ceux de cinq autres nourrissons de sexe différent.
L’expérience a montré qu’en fait, leur score de reconnaissance était très élevé. Les quelques parents qui se sont trompés étaient ceux qui passaient le moins de temps avec leur bébé.
Conclusion : la reconnaissance n’est pas liée au fait qu’il s’agit du père ou de la mère, mais au temps que les parents passent auprès de leur bébé ; pour que le père ou la mère identifient sans peine les pleurs de leur bébé, ils doivent passer plus de quatre heures par jour à ses côtés. En deçà de cette durée, le mécanisme se dérègle et les parents ont du mal à distinguer les cris de leur enfant parmi les autres.
Cela ne clôt-il pas la fameuse controverse « temps de qualité » contre « temps en quantité » 2 ?!
OÙ L’ON RETROUVE LES ALLOPARENTS
Et cela ne concerne pas que les parents, comme le montre la deuxième expérience faite par des chercheurs de la même équipe 3.
De jeunes femmes et hommes sans enfant ont écouté une à six séquences de pleurs d’un bébé présenté comme le « leur ». Quelques heures après, elles et ils devaient tenter de reconnaître ce bébé parmi trente pleurs dont vingt-quatre provenaient d’autres bébés. Résultat : les adultes ayant entendu un seul pleur de « leur » bébé durant l’entraînement reconnaissaient déjà les pleurs de ce bébé plus efficacement que s’ils avaient répondu au hasard.
Comme le disent les auteurs : « La capacité à reconnaître un bébé par ses pleurs est largement partagée par tous et toutes, parents comme non parents. Les seuls facteurs qui modulent notre performance à reconnaître un bébé sont le temps que nous passons avec lui et notre habitude des bébés. Cette aptitude commune aux parents et aux non-parents pourrait faciliter notre disposition à coopérer pour s’occuper des bébés. 4»
Coopérer pour s’occuper des bébés ? Passer du temps avec eux, répondre à leurs besoins, apprendre à les connaître, il n’est pas de meilleure façon pour créer cette « coopérative de maternage » que j’ai toujours appelée de mes vœux 5.
1 Gustafsson E, Levréro F, Reby D, Mathevon N, « Fathers are just as good as mothers at recognizing the cries of their baby », Nature Communications 2013 ; 4 : 1698, www.nature.com/articles/ncomms2713
2 Voir ma chronique dans le n° 57 de Grandir Autrement Passer du temps avec ses enfants.
3 Bouchet H, Plat A, Levréro F, Reby D, Patural H, Mathevon N, « Baby cry recognition is independent of motherhood but improved by experience and exposure », Proceedings of the Royal Society of London B 2020, en ligne le 19 février 2020, https://royalsocietypublishing.org/doi/full/10.1098/rspb.2019.2499
4 « Reconnaître un bébé par ses pleurs : seuls l’expérience et le temps passé avec le bébé comptent ! », www.univ-st-etienne.fr/fr/tous-les-faits-marquants/annee-2019-2020/zoom-sur/publication-reconnaitre-un-bebe-par-ses-pleurs.html
6 Voir Les alloparents, c’est quoi ? ça sert à quoi ?
Chronique parue dans le n° 84 de Grandir autrement, novembre 2020.
Voir aussi l’article Mieux comprendre les pleurs du nourrisson