Allaiter, un geste éco-bio-logique
Article publié dans le n° 121 d’Allaiter aujourd’hui, octobre 2019.
Illustration : détail de l’affiche de la CoFAM pour la SMAM 2020.
En 2000 déjà, la spécialiste en paléoclimatologie Nicole Petit-Maire, alors présidente du Comité National Français de l’Union Internationale pour la Recherche sur le Quaternaire, déclarait : « Depuis le début du siècle, la température moyenne a augmenté de 1° C sur les continents et de 0,6° C sur les océans. Lorsqu’on voit sur nos cartes les bouleversements écologiques provoqués par une si petite différence de température, on peut se rendre compte que, s’il ne modifie pas profondément sa façon d’agir, l’homme risque d’aller vers la catastrophe. Le premier biberon réchauffé, c’est la première contribution de chaque bébé à la pollution de l’atmosphère. » Vingt ans plus tard, alors que les inquiétudes pour l’avenir de notre planète se font plus pressantes, il est grand temps d’affirmer avec force que oui, l’allaitement n’est pas seulement bon pour la santé des bébés et des femmes, il l’est également pour la santé de la planète.
L’allaitement, éco… logique
L’allaitement (ou plutôt le non-allaitement) a un impact environnemental dans de nombreux domaines : conversion énergétique, pollution, déforestation, démographie…
L’allaitement abaisse les besoins en produits laitiers, ainsi que les besoins en matières premières et les pollutions induites par la fabrication, le transport et l’utilisation des laits industriels pour nourrissons. Savez-vous par exemple qu’il faut environ 940 litres d’eau pour produire un kilo de lait entier liquide. Un kilo de lait donne 200 grammes de lait en poudre et il faut donc 4 700 litres d’eau pour fabriquer un kilo de lait en poudre [1].
Les laits infantiles contiennent pratiquement tous de l’huile de palme qui, de par son mode de production et la déforestation qu’elle induit, est une menace majeure pour l’environnement
Les emballages (en métal, aluminium, papier, plastique) des laits industriels utilisent des matières premières et créent des déchets, souvent polluants et non biodégradables (voir la catastrophe que représentent les déchets de plastique dans les océans et ailleurs). Au contraire, l’emballage du lait de femme, en plus d’être esthétique, est réutilisable à l’infini !
L’allaitement ne demande ni eau pour préparer et nettoyer les biberons, ni combustible pour chauffer cette eau. On estime que l’alimentation artificielle d’un enfant consomme 73 kg de bois (ou l’équivalent énergétique) par an (pour faire bouillir biberons et tétines et chauffer l’eau), 3 litres d’eau par jour (1 litre pour diluer la poudre, 2 litres pour faire bouillir biberons et tétines). Pour 3 millions de bébés nourris au biberon, 450 millions de boîtes de lait sont utilisées chaque année, ce qui représente des milliers de tonnes de métal et de carton.
Dans la mesure où il diminue la prévalence des maladies, l’allaitement diminue aussi l’utilisation de médicaments.
Il est en outre, grâce à l’aménorrhée lactationnelle, un facteur de régulation démographique [2].
Le lait maternel est une ressource alimentaire renouvelable, qui contribue à la sécurité alimentaire et hydrique, notamment en situation de crise et dans les catastrophes naturelles (et l’on sait que le changement climatique va augmenter leur fréquence).
Une récente étude [3], financée par l’OMS et l’Université suédoise des sciences agricoles, a calculé que l’allaitement avait une empreinte carbone systématiquement inférieure à celle des substituts du lait maternel. Cela était vrai pour les quatre pays étudiés : Royaume-Uni, Chine, Brésil et Vietnam, où l’impact de l’allaitement était respectivement de 40 %, 53 %, 43 % et 46 % inférieur à celui résultant de l’utilisation de laits infantiles. Sachant que « cette étude a uniquement évalué l’impact sur le climat de différentes approches en matière d’alimentation infantile, mais [que] la production alimentaire a également une incidence sur l’environnement dans de nombreux autres domaines, notamment via la pollution et la contamination des cours d’eau et des sols, la perte de biodiversité et l’utilisation de ressources limitées ou non renouvelables telles que la terre, l’eau et les combustibles fossiles. Dans l’idéal, une comparaison complète de l’impact environnemental de l’allaitement et des laits industriels devrait en tenir compte ».
Au total, on peut dire que le lait de femme est une ressource naturelle mondiale à protéger. Il est fabriqué par les mères dans les quantités exactes que réclament les bébés, sans gaspillage et sans peser sur l’environnement. Et le bébé allaité est le premier des locavores : sa nourriture va directement du producteur au consommateur, sans aucun intermédiaire !
Comme l’écrivait IBFAN en 2015, « nous préconisons l’investissement dans les énergies renouvelables et durables pour éviter la pollution de l’air qui provoque des maladies respiratoires chez des milliards de personnes. Or, nous devrions aussi investir dans une ressource naturelle, renouvelable et durable – l’allaitement maternel ». Et comme il l’écrit en 2019, « l’allaitement maternel fait partie d’une économie circulaire sûre, renouvelable et exempte de substances toxiques, il repose sur des cycles biologiques et non sur les industries extractives [4].
L’allaitement est-il bio… logique ?
Quand on pense alimentation biologique, on pense à plusieurs choses.
On parle d’une nourriture produite dans un rayon allant de 100 à 250 kilomètres maximum autour du domicile du consommateur (locavorisme). Et là, le lait maternel bat tous les records : il n’est pas produit à moins de 100 km de son consommateur, mais à moins de… 1 cm ?!
On parle également de produits de saison : pas de fraises en hiver. Là aussi, rien de plus « de saison » que le lait maternel, qui est produit à la demande de son consommateur, sur le moment (bon, à l’exception du lait tiré congelé qui peut « dater » de quelques mois…).
Et bien sûr, on parle d’aliments sans résidus chimiques d’engrais ou de pesticides. Et là, impossible de dire que le lait maternel en est exempt.
Beaucoup de polluants organiques sont lipophiles : ils s’accumulent dans notre organisme et sont stockés dans les graisses. Or, pendant l’allaitement, ces graisses sont mobilisées : on estime qu’environ 60 % des lipides présents dans le lait maternel proviennent des réserves lipidiques maternelles, et leur mobilisation induit le passage dans le sang et le lait des polluants qui y étaient stockés. C’est d’ailleurs pour cette raison que le lait maternel étant un fluide corporel facile à recueillir et à analyser, il est régulièrement utilisé pour évaluer le niveau de contamination d’une population dans son ensemble.
Mais toutes les études sur le sujet montrent que, si l’exposition aux polluants in utero peut vraiment avoir des conséquences dommageables pour l’enfant à naître, l’allaitement les atténue, et ses avantages pour le développement neurologique de l’enfant et sa santé en général contrebalancent largement l’éventuel impact négatif que pourrait engendrer la présence de polluants dans le lait maternel.
Par exemple, de toutes les études épidémiologiques réalisées pour évaluer les effets des dioxines chez les enfants allaités, aucune n’a retrouvé d’impact sur la croissance staturo-pondérale, la taille du foie, la morbidité infantile ou le développement neurologique.
En ce qui concerne le DDE (dichlorodiphenyldichloroethylene), un polluant organochloré, une étude espagnole [5] a montré que si le risque d’asthme était corrélé au taux de DDE à la naissance, à 4 ans, le risque était significativement plus bas chez les enfants qui avaient été allaités, et ce chez tous les enfants, de façon indépendante de leur taux de DDE.
Une autre étude [6] a conclu que si l’exposition aux PCBs (polychlorobiphényles) pendant la grossesse a bien un impact négatif sur le développement du système nerveux central, celui-ci est compensé en cas d’allaitement, et ce en dépit de la poursuite d’une exposition éventuellement élevée aux PCBs : les enfants ainsi exposés, qui avaient été allaités moins de 16 semaines ou qui n’avaient pas été allaités, avaient de moins bons résultats aux tests que ceux qui avaient été allaités au moins seize semaines.
La consigne donnée il y a quelques années par certains mouvements écologistes allemands de n’allaiter que les premiers mois est donc bien absurde, d’autant que l’on sait qu’au fil de l’allaitement, le taux lacté de polluants organiques diminue régulièrement (dans une étude japonaise [7], la baisse était d’environ 70 % au cours des douze premiers mois post-partum). Il est également plus bas lors d’un deuxième ou troisième allaitement que pour le premier.
De plus, polluants dans le lait ne veut pas nécessairement dire polluants chez le bébé. C’est ainsi que des chercheurs japonais ont mesuré l’accumulation de mercure, de plomb, d’arsenic, de cadmium et de sélénium, tous des polluants neurotoxiques, chez des enfants allaités pendant les trois premiers mois, par rapport au transfert placentaire de ces mêmes polluants (par analyse du sang du cordon à la naissance). Résultat : le taux de polluant chez le bébé à la naissance était, sauf pour le mercure, inférieur ou égal au taux chez la mère. À 3 mois, ce taux avait baissé (de 60 % pour le mercure, et 75 % pour le sélénium) ou était resté le même [8].
Manifestement, l’allaitement n’avait pas augmenté la pollution chez ces bébés [9] !
Alors oui, l’allaitement est bien l’alimentation physiologique du petit humain, qui répond à ses besoins nutritionnels, protège sa santé (et celle de sa mère), ne pèse pas sur la planète. Son alimentation… logique, quoi !
Pour aller plus loin :
- le dossier Allaitement et environnement sur le site LLL
- le dossier Environnement et climat d’IBFAN, 2019
Petit ajout 2020 : Une étude publiée en 2020 (Cadwell K et al., Powdered Baby Formula Sold in North America : Assessing the Environmental Impact, Breastfeeding Medicine 2020, en ligne le 1er juillet) a constaté qu’en 2016, « les émissions de gaz à effet de serre en Amérique du Nord (en tonnes d’équivalent CO2) attribuables aux ventes de préparations pour nourrissons étaient de 70 256 t pour le Canada, de 435 820 t pour le Mexique, et de 655 956 t pour les États-Unis. En se basant sur la consommation de PPN de la naissance à 36 mois, cela représentait au minimum 59,06 kg d’équivalent CO2 par habitant. »
[1] Cette donnée, ainsi que beaucoup d’autres, se trouve dans Changement climatique et santé, la brochure qu’IBFAN a publié en 2015, avant la COP21.
[2] On estime ainsi à 3 521 000 le nombre de naissances « évitées » par l’allaitement chaque année en Inde. Voir : S Becker et al., Estimation of births averted due to breast-feeding and increases in levels of contraception needed to substitutes for breast-feeding, J Biosoc Sci 2003 ; 35 : 559-74.
[3] Karlsson JO et al., The carbon footprint of breastmilk substitutes in comparison with breastfeeding, Journal of Cleaner Production 2019 ; 222 : 436-445.
[4] Greenfeeding – Alimentation verte – action pour le climat dès la naissance. Messages clés.
[5] Sunyer J et al., Early exposure to dichlorodiphenyldichloroethylene, breastfeeding and atsthma at age six, Clin exp Allergy 2006 ; 36(10) : 1236-41.
[6] Vreugdenhil HJ et al., Prenatal exposure to polychlorinated biphenyls and breastfeeding : opposing effects on auditory P300 latencies in 9-years-old Dutch children, Dev Med Child Neurol 2004 ; 46(6) : 398-405.
[7] Takekuma M et al., Ratio variation of congener profiles of PCDD/Fs and dioxin-like PCBs in human milk during lactation, Sci Total Environ 2011 ; 409(8) : 1368-77.
[8] Sakamoto M et al., Changes in body burden of mercury, lead, arsenic, cadmium and selenium in infants during early lactation in comparison with placental transfer, Ecotoxicol Environ Saf 2012 ; 84 : 179-84.
[9] Cela n’empêche pas de souhaiter limiter ces polluants en adoptant un mode de vie le plus sain possible. Voir Minimiser le risque de pollution du lait maternel.