La Chrysalide, une école de la transition
La Chrysalide [1] a ouvert à la rentrée 2015 dans la campagne du Sud Gironde. Pour parler de son projet et de ce qui est d’ores et déjà réalisé, j’ai interrogé Morgane, cofondatrice et directrice de l’école, Catherine et Guillaume, des parents qui sont là depuis le début de l’aventure, et leurs enfants, Célestin, 12 ans, et Robinson, 9 ans.
Cette interview est parue dans le n° 81 de Grandir autrement.
Morgane, la directrice
Créer la Chrysalide était dans la continuité de mon parcours. À Cap Cabane, l’entreprise d’écotourisme fondée avec mon conjoint, on proposait déjà aux enfants des activités sur l’environnement, des jeux coopératifs…
Les deux autres fondateurs venaient d’univers un peu différents, mais complémentaires. Marc avait l’envie d’accompagner les enfants vers la transition et savait que le levier du changement, c’est l’éducation. Sophie quant à elle était sur le savoir-être : aider les enfants à savoir qui ils sont.
GA – Au niveau pédagogique, quelles étaient vos références ?
Les pédagogies actives faisaient clairement partie du package de départ. Par contre on n’est affiliés à aucun courant en particulier, on pioche un peu partout. Et Nathalie, l’institutrice, s’inspire beaucoup de la pédagogie de la coopération [2].
Mais la pédagogie, ce n’est pas tout, l’idée était aussi de faire de l’école un modèle sociétal, de créer une communauté capable de faire plein de choses pour que ça fonctionne : chantiers participatifs, commissions, fête de l’école… Ce n’est pas juste une école où l’on dépose ses enfants le matin et on va les rechercher le soir. C’est un lieu vivant où l’on expérimente. Et pour ça, il est important d’avoir des parents motivés par l’aventure, car c’est un investissement.
GA – Et l’aspect nature et environnement ?
L’école étant au milieu d’une ferme en agriculture biologique, les enfants sont tout le temps au sein de la nature. Les maternelles vont se balader une heure tous les matins. On mange quasiment toujours dehors, sauf s’il fait vraiment froid. On est aussi très axés sur l’écologie, avec des modules qui traitent des déchets, des matériaux, c’est fabriqué où, par qui… Ça fait partie du projet pédagogique que de les inciter à se poser des questions sur l’univers qui les entoure.
GA – Comment se passe la journée ?
Le matin, c’est les apprentissages. Le début d’après-midi, c’est lecture, activités calmes. Et après 15 h, activités artistiques, philo, yoga, chant, jeux coopératifs… On rebondit beaucoup sur ce que les enfants apportent. Et même s’ils ne font pas tout ce qu’ils veulent, ils ont un champ d’action très large pour accomplir leur « plan de travail » défini chaque semaine.
GA – Et l’aspect vivre ensemble ?
Il est très présent, tant dans la vie quotidienne que dans les apprentissages. Par exemple, il y a beaucoup de tutorat entre les plus grands et les plus jeunes.
Et l’on travaille beaucoup sur la gestion des conflits, reformuler, savoir dire stop, avoir des attentions envers les autres, l’éducation à la paix, la culture de la joie, décorer le lieu, le rendre beau, etc. Ce sont tous ces petits gestes quotidiens qui font qu’à la fin, ça donne un endroit où l’on se sent bien, en confiance. Confiance entre adultes et enfants, entre membres de l’équipe, entre enseignants et parents.
Les parents
Guillaume – Avec notre aîné, on s’est ouverts à plein d’approches « alternatives » : allaitement long, portage, cododo… Mais on partait plutôt confiants par rapport à l’école traditionnelle, et quand Célestin a eu 3 ans, on l’a mis à l’école du quartier en se disant que ça allait le faire. En un mois et demi, cette confiance a été détruite.
Je ne m’étendrai pas sur les diverses expériences qui ont suivi, mais ce fut le début d’une recherche d’autre chose. Ce qui nous semblait le plus important, au-delà des apprentissages académiques, c’était de trouver un écosystème qui soit le plus propice à l’enfant, qui lui donne envie d’apprendre et de trouver sa place dans une communauté.
Catherine – En ce qui me concerne, quand j’ai vu le documentaire des Amanins Quels enfants laisserons-nous à la planète ?, c’est devenu mon modèle. Je me disais que j’aimerais être entourée de parents qui soient sur la même longueur d’ondes que moi. Je m’étais sentie entourée pour le maternage de mes petits, avec LLL, l’association Bouts de ficelle, les parents que j’y avais rencontrés. Et là, à l’école, j’avais l’impression de laisser mon enfant dans un milieu hostile…
Guillaume – Quand on a envisagé de déménager sur Bordeaux, on a rencontré toutes les écoles qui nous semblaient présenter le genre d’ouverture que nous recherchions. La première expérience ne fut pas vraiment positive puisque, aux vacances de Pâques, on a enlevé les enfants de l’école. À ce moment-là, on s’est posé la question de partir sur l’école à la maison.
Catherine – Plus toi que moi. Moi, je voulais une école pour mes enfants. Ces mois que j’ai passés avec eux ont été super, mais je ne me voyais pas faire ça à long terme. Et quand on a rencontré Morgane, et qu’elle nous a parlé du projet de la Chrysalide, je me suis dit : c’est là que j’ai envie d’envoyer ma ligne !
Guillaume – Quand on les a rencontrés la première fois, pour nous, tous les voyants étaient au vert.
Et je dois dire qu’au bout de cinq ans, même si certaines choses ont pris plus de temps, tout y est : l’accueil de l’enfant tel qu’il est, avec sa singularité ; l’entraide entre enfants d’âges différents ; le côté nature, écologie ; l’engagement demandé aux parents, notamment pour participer au modèle économique autrement que par les frais de scolarité ; beaucoup de réflexions pour que chacun trouve sa juste place ; une école la plus accessible possible.
Catherine – Ce qui me plaît aussi, c’est les rencontres avec d’autres écoles, organiser des festivités, des formations… On a l’impression que les cercles des enfants se font aussi entre adultes : on apprend à s’exprimer sans empiéter sur la parole de l’autre, on apprend pas à pas la même chose que les enfants.
Et j’aime les « journées petite souris ». Moi, je viens le matin, pour voir les apprentissages, cette ambiance de petits groupes qui apprennent en se parlant, qui bougent, qui interpellent l’adulte en lui posant la main sur l’épaule… Une vraie ruche !
Les enfants
Robinson – J’aime tous les ateliers, en particulier l’atelier philo, où l’on parle de tout et n’importe quoi. Le dernier, c’était sur la maladie, c’est moi qui l’ai mené.
J’aime bien aussi le « quoi de neuf » : on apporte un objet et on le présente aux autres.
C’est bien que l’école soit dans la nature, il y a de l’herbe, à la récré on est tous ensemble, des plus petits aux plus grands.
On parle aussi beaucoup d’écologie, comment économiser l’énergie, ne pas gaspiller…
Et tous les matins, il y a le cercle, on y parle de nos émotions, de ce qu’on a fait pendant le week-end, de comment on arrive le matin : pétillant, content, triste, fatigué…
Quand on se dispute, il faut d’abord demander aux médiateurs, ils essaient de régler le problème, et si ça ne marche pas, on appelle les adultes. J’aime bien être médiateur.
Célestin – Je suis d’accord avec tout ce qu’a dit Robinson. Quand j’ai quitté la Chrysalide pour aller dans un collège classique, ça m’a fait un choc. Moi j’aime apprendre en faisant. À la Chrysalide, avec le « plan de travail », on avait un certain nombre de choses à faire dans la semaine, on était autonome. Là, le prof parlait et on devait écouter, c’était juste ennuyeux.
En plus, la relation aux enseignants n’avait rien à voir. À la Chrysalide, on aimait aider la maîtresse. Au collège, c’était mal vu, on devenait « le chouchou ».
Et les élèves n’avaient pas d’autre façon de régler leurs problèmes que par la bagarre.
J’avais par ailleurs de très bonnes notes ; au niveau des apprentissages, j’étais bien au niveau. Mais je n’étais pas heureux.
Pour la rentrée, j’ai l’espoir d’un collège comme la Chrysalide, où on apprendra en faisant. Il y aura aussi un tiers-lieu, un fab lab, un espace de coworking, où je veux m’investir.
[1] https://ecolelachrysalide.org/
[2] Isabelle Peloux, L’Ecole du Colibri. La Pédagogie de la coopération, 2014.