Surmonter la mort de l’enfant attendu

Surmonter la mort de l’enfant attendu

Mon interview d’Élisabeth Martineau, parue dans le n° 79 de Grandir autrement.
Élisabeth est rédactrice en chef du magazine L’Enfant et la Vie, co-fondatrice de l’association lyonnaise La Cause des Parents, coordinatrice du collectif Une fleur, une vie, et autrice de Surmonter la mort de l’enfant attendu, Dialogue autour du deuil périnatal.

Grandir Autrement : Comment en es-tu venue à t’intéresser au deuil périnatal ?

Élisabeth Martineau : Par une expérience personnelle. J’ai perdu mon premier enfant en 1997, à la toute fin d’une grossesse qui s’était parfaitement bien passée. J’ai découvert le tabou qu’est le deuil périnatal, le malaise et l’incompréhension que vit l’entourage, le manque de signes concrets pouvant donner une existence à un être bien réel mais vu et reconnu par peu de personnes, la détresse et même un sentiment de folie face à une expérience absurde.
Je suis allée voir ma sage-femme, Maïtie Trélaün. Elle a écouté elle aussi. Ce n’est pas elle qui a posé le diagnostic. C’est à l’hôpital, où on est allés faire une échographie, qu’on nous a annoncé le décès. Le médecin a dit : je ne trouve pas d’activité cardiaque…

GA : Et ensuite ?

ÉM : Sur le coup, on pense qu’on va avoir une césarienne. J’avais envie qu’on m’enlève ce monstre, ce n’était plus un bébé, c’était un monstre. Accoucher pour la première fois, ça fait peur, alors accoucher d’un bébé mort…
Je suis rentrée chez moi et, dans l’après-midi, je suis allée voir un ostéopathe qui travaillait avec les femmes enceintes. J’ai su par la suite que Maïtie l’avait appelé pour lui dire de faire quelque chose qui déclenche l’accouchement. Je ne sais pas si c’est ce qu’il a fait qui a marché, mais les contractions ont démarré dans la nuit du samedi au dimanche, et j’ai accouché le dimanche après-midi.

GA : Comment s’est passé l’accouchement ?

ÉM : J’ai accouché naturellement, comme j’avais prévu : un matelas par terre, dans les positions que je voulais. J’étais accroupie au moment de l’accouchement. J’ai demandé à la sage-femme de regarder le bébé d’abord ; elle l’a emmenée à part, a dit qu’elle était toute belle, l’a ramenée enveloppée dans un tissu. Elle était vraiment petite, 2 kg 600. Problème avec le placenta ? On ne le saura jamais puisqu’il n’y a pas eu d’autopsie. Aujourd’hui, on en fait systématiquement, mais à l’époque, l’équipe m’a dit qu’ils n’avaient jamais trouvé de cause pour un décès en fin de grossesse, et moi, ça m’allait bien

GA : Que s’est-il passé après l’accouchement ?

ÉM : Au réveil (j’ai dû avoir une délivrance artificielle), une sage-femme m’a dit : c’est terrible ce qui vient de se passer, la princesse Diana est morte ! Une vraie sorcière, quand je la voyais arriver, je savais qu’elle allait dire une méchanceté…
D’un autre côté, il y avait une sage-femme très bienveillante, qui m’a trouvé un joli tissu en soie pour envelopper le bébé (je n’avais pas envie de lui mettre un body).
Je ne l’ai pas prise dans les bras, je l’ai beaucoup regardée, je l’ai touchée du bout des doigts.
Il y avait beaucoup d’émotion, une culpabilité qui m’a rongée pendant des années : qu’est-ce que j’ai fait pour qu’elle meure ? Mais c’était un beau moment.
À l’époque, on ne prenait pas de photos. Cela dit, je n’ai jamais souhaité en avoir, j’aurais peur qu’elles soient trop en décalage avec l’émotion que j’ai vécue à ce moment-là.
On ne m’a pas proposé d’aller au funérarium pour revoir le bébé. Aujourd’hui, on le fait, on propose aux parents de l’habiller, de le laver. Par contre, je suis allée aux obsèques, en chaise roulante car j’étais très faible, j’avais perdu beaucoup de sang.

GA : Comment a réagi l’entourage ?

ÉM :  On était gênés, comme souvent dans ces cas-là, par les gens qui ne savent pas quoi dire, qui font comme si de rien n’était. Je pense que si j’ai eu envie de m’investir dans cette cause, c’est notamment pour dire à l’entourage quoi faire et ne pas faire.
On a besoin qu’on sache que cette vie a vraiment existé, sinon, on peut devenir fou, se demander « est-ce que j’ai vraiment été enceinte ? est-ce que ce bébé a vraiment existé ? » Du coup, tous les petits mots, les vêtements, les visites… donnent corps à ce bébé.
Il ne faut pas hésiter à parler du bébé, demander comment il était, comment s’est passé l’accouchement,… ces choses rappellent à la personne qu’elle n’est pas folle, qu’elle est d’une certaine manière une maman.

GA : Quels mots employer pour dire cette perte ?

ÉM : Certains parents disent qu’ils sont « mamange », « papange ». On peut avoir besoin de ces symboles, de se dire « c’est un ange qui veille sur nous », « c’est une étoile dans le ciel ». J’ai dû dire des choses comme ça au début, mais ensuite, ce qui m’aidait vraiment, c’était de dire : c’était un bébé, elle s’appelait Raphaëlle, elle était comme ci, elle était comme ça, et je suis maman.
Certaines disent « je suis mère de tant d’enfants », en incluant le bébé mort dans le nombre. J’ai dit ça au début, mais ensuite, avec mes trois filles à la maison, j‘ai arrêté de dire couramment que j’avais quatre enfants, je trouvais que ce n’était pas rendre service aux vivants que de constamment rappeler l’existence de ce bébé mort. Je vais plutôt dire : j’ai trois enfants, et avant j’ai eu un bébé qui est mort avant la naissance.

GA : Et ton livre alors ?

ÉM : J’avais proposé une dizaine de sujets à Chronique sociale. Le deuil périnatal était en bas de la liste, je n’avais pas vraiment envie de l’aborder. Mais comme, à l’époque, il n’existait pas grand-chose sur le sujet en France, c’est ça qu’a choisi l’éditeur.
J’ai mis un moment pour me décider, je ne me sentais pas prête, je ne voulais pas que ce soit un livre-thérapie pour moi, je voulais aider les autres
En première partie, j’ai écrit mon témoignage, et ensuite, ce sont les témoignages d’autres parents, de journalistes, de responsables d’associations, de psys, de professionnels de santé qui, je l’ai découvert, étaient aussi en souffrance. Toutes les personnes pouvant être concernés par le sujet dans leur quotidien

GA : À ce moment-là, tu n’étais pas encore engagée dans une association sur le sujet ?

ÉM : Non, mais le livre m’a mise en contact avec ces associations. L’éditeur leur a envoyé des services de presse, et elles ont trouvé le livre très bien.
Au bout d’un moment, plusieurs d’entre elles ont eu l’idée de faire chaque année une journée autour du deuil périnatal. Et c’est moi qui ai eu l’idée du bouquet et que ce soit médiatisé.
Le collectif Une fleur, une vie propose donc aux parents, chaque mois de mai, de créer sur une place publique un immense bouquet où chaque fleur vient représenter la vie d’un petit qui est mort en période périnatale.

GA : Globalement, tu trouves que par rapport à il y a 20 ans, le deuil périnatal est mieux accompagné ?

ÉM : Oh oui, c’est clair. Les associations font un travail formidable, les professionnels se forment, de nouveaux rituels se mettent en place…
Mais on pourrait aller plus loin, par exemple pouvoir garder le bébé dans sa chambre plus longtemps, dans une sorte de berceau froid. Et que tous les membres de la famille qui le souhaitent (grands-parents, frères et sœurs…) puissent voir le corps, car c’est compliqué de faire le deuil de quelqu’un dont on n’a pas vu le corps. Qu’il y ait des stèles dans les cimetières, des lieux pour se remémorer le bébé, qui donnent le sentiment qu’on n’est pas seuls et que le bébé n’est pas seul. Quand ça m’est arrivé, je pensais que ça n’était arrivé qu’à moi parce que je ne savais pas que ça pouvait arriver…

 

Voir aussi le billet de blog de « Mère alors ! », Montrer le deuil périnatal. Et le podcast Au Revoir, lever le voile sur le deuil périnatal.

A propos de l'auteur

Claude Didierjean-Jouveau

Animatrice de La Leche League France, rédactrice en chef de la revue "Allaiter aujourd'hui !" Auteur de plusieurs ouvrages sur l'allaitement, la naissance et le maternage.

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