Du lait humain pour les petits humains
Article paru dans la revue Biocontact, mars 2017.
Dès la naissance, la principale préoccupation des parents est de nourrir le bébé. De le nourrir afin qu’il grossisse et grandisse comme il faut. De le nourrir afin qu’il soit en bonne santé, maintenant et plus tard. Car l’on sait bien aujourd’hui (et des parents bio le savent encore mieux) à quel point l’alimentation influe sur l’état de santé de l’individu.
Depuis les débuts de l’espèce humaine, les petits d’homme ont été allaités par leurs mères (ou par des nourrices dans certains endroits et à certaines époques). Le lait humain était ce qui les faisait vivre et grandir, et ce qui les protégeait des maladies.
Et puis, au cours du 20e siècle, il a souffert d’une désaffection progressive, avec des taux d’allaitement historiquement bas dans les années 1950. Les raisons de cette désaffection sont multiples. On peut citer en vrac : le salariat des femmes ; le développement de l’élevage de vaches laitières et de l’industrie agro-alimentaire qui va avec ; l’implication des professionnels de santé dans la promotion des substituts du lait maternel ; l’amélioration de ces substituts (pasteurisation, meilleure qualité des produits) ; la priorité grandissante donnée au couple conjugal sur l’enfant ; l’érotisation des seins ; un certain féminisme pour lequel la maternité est un esclavage et l’allaitement un esclavage à la puissance 10 ; le développement d’une puériculture pour laquelle tout est dans les « poids et mesures » ; etc. [1]
La fin du siècle dernier et le début du 21e ont vu une belle remontée des taux et des durées d’allaitement dans les pays industrialisés (en France par exemple, 45 % d’allaitement à la naissance en 1995, près de 70 % aujourd’hui), mais la baisse se produit maintenant, avec un décalage, dans les pays en voie de développement (au Maroc, 51 % des enfants exclusivement au sein durant les six premiers mois en 1992, 27,8 % en 2011).
Les pratiques marketing des fabricants de lait artificiel
Il est vrai que ces pays offrent aux fabricants de lait infantile des marchés énormes qu’ils ont tout intérêt à investir (qu’on pense aux millions de bébés chinois…). Et pour cela, ils n’hésitent pas à recourir, au mépris du Code OMS [2], à n’importe quel moyen : publicité mensongère, corruption des fonctionnaires et des professionnels de santé, etc.
Un numéro de l’émission télévisée Cash investigation du 6 octobre 2015 [3] dénonçait avec vigueur les conséquences de ces stratégies dans le cas d’une filiale du groupe Danone opérant en Indonésie : enfants pauvres malnutris, malades, avec de graves problèmes de croissance…
Le lait humain, c’est (bio)logique !
Le lait de femme est en effet, de par sa composition, à la fois la nourriture physiologique normale du bébé humain ET ce qui se fait de mieux en matière de protection anti-infectieuse.
Ses « ingrédients » permettent un développement optimum de l’enfant, notamment une croissance rapide de son cerveau (qui est la caractéristique de l’espèce humaine) :
- proportion lipides/protides (sans doute un des facteurs de prévention de l’obésité),
- faible taux de caséine et abondance de la protéine du petit-lait (d’où une grande digestibilité),
- faible taux de certains sels et minéraux (d’où un moindre travail d’élimination pour les reins), minéraux et vitamines en quantités et proportions idéales (par exemple le rapport calcium/phosphore) et très bien assimilés,
- taux important de lactose (à la fois source d’énergie rapide, facteur de croissance de bactéries empêchant le développement d’autres bactéries responsables de diarrhées, et facteur de développement du système nerveux),
- présence dans les bonnes proportions d’acides gras à très longue chaîne, de taurine (totalement absente du lait de vache) et d’agents antioxydants comme le β-carotène, de vitamine E ou d’inositol, tous importants pour le développement des fonctions neurologique et visuelle.
Le premier des alicaments
Le lait maternel, c’est aussi plein de facteurs de protection : anticorps, lactoferrine, lysozyme, caséine, fibronectine, protectine, protéines du complément, mucine, lactadhérine, lymphocytes, cytokines, enzymes comme la catalase, oligosaccharides, etc., etc.
Le lait maternel, ce n’est pas que de la nourriture ! C’est aussi, et de très nombreuses études le démontrent jour après jour, ce que la Nature a prévu pour aider à la construction du système immunitaire du petit humain.
Et cela ne date pas d’hier puisque l’on pense pouvoir faire remonter cela aux ancêtres des mammifères, chez qui existaient des sécrétions proto-lactées destinées à tuer les bactéries dans le nid et à la surface des œufs. Sécrétées par des glandes cutanées, elles augmentaient les chances de survie des œufs et des petits une fois éclos, lesquels devaient alors aussi ingérer ces sécrétions, qui les aidaient sans doute à optimiser leur flore intestinale.
Les mammifères sont les seuls êtres vivants à nourrir leurs petits grâce à un fluide nutritif complexe élaboré dans des glandes cutanées élaborées. Mais à l’origine, ce fluide n’était pas une nourriture, mais plutôt une sorte d’antibiotique naturel. Et en devenant une nourriture, il a gardé ses propriétés anti-infectieuses d’origine, et son rôle de constructeur du système immunitaire. On peut donc dire à juste titre que le lait maternel est le premier et le meilleur des alicaments !
Pour le Dr Cregan, l’un des chercheurs australiens qui ont découvert que le lait maternel contient aussi des cellules souches, les seins prennent, à la naissance, le relais du placenta pour faire en sorte que la destinée génétique du bébé s’accomplisse correctement. Il ajoute : « Les fabricants de lait industriel se sont polarisés sur le fait d’égaler les qualités nutritives du lait maternel, mais jamais leurs produits ne pourront assurer cette bonne conduite du développement de l’enfant (developmental guidance). »
Si l’on ajoute à cela le fait qu’allaiter et avoir allaité est bon aussi pour la santé de la mère, on peut dire que le lait maternel est sans doute le seul alicament qui fait du bien non seulement à son consommateur, mais aussi à son producteur (productrice, en fait) !
Quel lait donner si on n’allaite pas ?
Si, pour une raison ou pour une autre, le bébé n’est pas ou plus allaité, se pose la question du lait à lui donner (surtout pendant les six premiers mois, où il n’est censé prendre que du lait).
Le premier choix serait évidemment le lait de la mère tiré ou le lait d’une autre femme, par l’intermédiaire des lactariums. Mais ceux-ci n’ayant même pas assez de lait pour les bébés prématurés, il est illusoire d’imaginer qu’ils puissent en fournir aux parents souhaitant que leur bébé bénéficie de lait humain.
La plupart des bébés non allaités sont nourris avec des préparations pour nourrissons faites à partir de lait de vache duquel on a retiré certaines choses et auquel on a ajouté certaines autres, dans l’espoir de se rapprocher de la composition du lait humain. Par exemple, on a depuis quelques années abaissé le taux de protides, car un taux trop élevé (beaucoup plus élevé que celui du lait humain) pourrait être une des causes de l’obésité infantile.
Cela dit, malgré les prétentions des fabricants, il est impossible de reconstituer industriellement un produit semblable au lait humain. En particulier, tous les facteurs de protection cités plus haut ne peuvent se trouver dans les laits en poudre.
À voir tous les laits proposés sur les linéaires des grands magasins et toutes leurs déclinaisons (laits « anti-régurgitations », laits « anti-coliques », laits hypoallergéniques, etc.), on peut avoir le tournis, et avoir du mal à choisir. Mais rappelez-vous : « Les laits infantiles sont tous pratiquement identiques. »
Et que penser des laits pour bébés bio ? Faits à partir du lait de vaches élevées selon les standards de l’agriculture biologique (nourries aux fourrages biologiques et soignées sans antibiotiques), on pourra les préférer pour cette raison.
En cas d’allergie ou d’intolérance au lait de vache, il est parfois suggéré d’utiliser d’autres laits animaux. Le lait de jument est en vogue, notamment dans l’est de la France. Mais il faut savoir qu’en plus d’être très coûteux, il est lui aussi un allergène potentiel…
En fait, les protéines des laits de vache, de chèvre, de jument ou d’ânesse présentent une allergénicité croisée dans 70 % des cas. Ce n’est donc pas une très bonne idée de les utiliser pour éviter l’allergie aux protéines de lait de vache…
Peut-on échapper aux laits animaux en donnant au bébé des « laits » végétaux (amande, noisette, châtaigne, riz, avoine…) ?
Il faut savoir que ces « laits » (qui ne sont pas des laits mais des jus, et n’ont d’ailleurs pas le droit de s’intituler ainsi) n’ont absolument rien à voir avec les laits animaux. Ils sont beaucoup plus pauvres en protéines (et des protéines très différentes des protéines animales) et beaucoup plus riches en glucides. L’alimentation d’un nourrisson avec uniquement des « laits » végétaux induit habituellement un kwashiorkor (marasme par carence protéique) accompagné de troubles liés à la surcharge glucidique.
D’autre part, les fruits à coque sont des allergènes potentiels, donc mieux vaut ne pas les utiliser avant 6 mois. Quant aux « laits » de céréales à gluten (blé, avoine, orge, seigle…), mieux vaut les éviter également avant 5 ou 6 mois, car ils peuvent favoriser une intolérance au gluten, comme les céréales en question.
Pris ponctuellement en petite quantité et si possible pas les premiers mois, ces « laits » sont sans doute utilisables. Mais en aucun cas ils ne peuvent constituer la seule alimentation d’un nourrisson.
On peut minimiser – mais non supprimer – le problème en en mélangeant plusieurs ou en utilisant un produit constitué de plusieurs laits différents (et éventuellement enrichi), car cela permet aux protéines d’être mieux absorbées.
Les « laits » de soja spécialement conçus pour l’alimentation des nourrissons (pas les laits de soja « courants ») ont longtemps été utilisés (notamment aux États-Unis) pour l’alimentation des enfants allergiques aux protéines du lait de vache, ou qui devaient recevoir un lait sans lactose. On se pose aujourd’hui beaucoup de questions sur les phytoœstrogènes qu’ils contiennent à des taux très élevés. De plus, entre 30 et 50 % des enfants allergiques au lait de vache sont aussi allergiques aux protéines de soja…
Du lait jusqu’à quand ?
Les petits mammifères peuvent digérer le lactose, un sucre spécifique du lait, grâce à la lactase que sécrète leur tractus digestif. Des études ont constaté un arrêt de la sécrétion de lactase à environ 5 ans, voire 10 ans, selon la population étudiée. On peut donc penser que la durée « normale » de consommation du lait chez les enfants est de 2 à 10 ans, en l’absence d’une persistance de la sécrétion de lactase.
Pour ce qui est en tout cas du lait maternel, l’Organisation mondiale de la Santé recommande un allaitement exclusif de six mois, et la poursuite de l’allaitement avec des aliments de complément « jusqu’à 2 ans ou plus ».
Toutes les études montrent un effet « dose-dépendant » de l’allaitement : plus longtemps il a duré, plus grands sont les bénéfices. Mais toute durée d’allaitement est bonne à prendre : 3 jours, 3 mois, 3 ans… Encore faudrait-il que les femmes soient bien informées et accompagnées afin de mener à bien leur projet d’allaitement, quel qu’il soit.
[1] Voir Histoire de l’allaitement au 20e siècle.
[2] https://www.who.int/fr/publications-detail/9241541601
[3] Qu’on peut visionner ici : https://www.youtube.com/watch?v=dMgh1UAfn7A