Petit florilège des critiques que s’attirent les femmes qui allaitent au long cours

Petit florilège des critiques que s’attirent les femmes qui allaitent au long cours

Voici quelques-unes des critiques que s’attirent les femmes (notamment de la part des psys et des professionnels de l’enfance) quand elles allaitent (encore, et donc « trop » longtemps) leur enfant. Et la liste est loin d’être exhaustive…

Mauvais pour l’autonomie de l’enfant ?

Un des grands reproches faits aux mères qui allaitent longtemps, c’est d’empêcher l’autonomie de leur enfant
En fait, il faudrait s’affranchir de la vision si répandue à l’heure actuelle consistant à survaloriser l’ « autonomie » précoce de l’enfant : plus il ferait les choses tôt (marcher, parler, être propre, se séparer de sa mère), mieux ce serait.
Cette autonomisation n’est sans doute pas naturelle, l’enfant de 2 ans n’a pas à être autonome, et ceux qu’on a poussés trop tôt hors du nid risquent de ne jamais savoir vraiment bien voler.
Un enfant qu’on n’a pas laissé être dépendant le temps nécessaire, est finalement obligé de se materner lui-même et peut développer ce que les psychologues appellent un « faux-self ». En effet le vrai moi, le sentiment d’être soi, une personne indépendante, ne peut se développer que si l’enfant a pu avoir un temps une illusion d’omnipotence sur son environnement, l’impression que c’était sa volonté qui faisait advenir les choses…
C’est sans doute la chose la plus difficile à comprendre, surtout lorsqu’on en est à son premier enfant et qu’on voit les autres enfants du même âge beaucoup moins « accrochés » à leur mère. Comment croire, tant qu’on ne l’a pas vécu, que ces bambins collants deviendront des enfants réellement autonomes, indépendants, curieux du monde et de la vie ? Et pourtant, c’est bien ce qui se passe et que racontent presque toutes les mères qui ont allaités longtemps : leurs enfants, si collants à 2 ans, étaient les plus intrépides et indépendants à 5 ou 6 ans.

Pour Françoise Dolto, il faudrait impérativement « sevrer la langue du téton » pour que l’enfant accède au langage… Claude Halmos, en digne disciple de Dolto, a repris cette absurdité dans un article paru en janvier 2010 dans le magazine Psychologies :

 

Et pour Caroline Goldman, un allaitement de trois ans et demi est un ‘facteur potentiellement traumatique »… (extrait de File dans ta chambre, 2020).

Une sucette ambulante ?

C’est une critique fréquemment adressée aux mères qui allaitent longtemps : tu es transformée en une sucette ambulante, ton enfant prend ton sein comme une sucette.
En fait, c’est tout le contraire ! La sucette, le doudou et tous les autres « objets transitionnels » ne sont jamais que de (pauvres) substituts du sein, servant à combler plus ou moins bien le besoin de succion et de réconfort par la succion, qui subsiste bien au-delà de la première année
Et pourquoi cette indulgence amusée pour l’enfant qui suçote sa couverture, et ce regard scandalisé pour celui qui vient se réconforter au sein de sa mère ? Évidemment, le premier est considéré comme plus « autonome » puisqu’il se débrouille tout seul, se satisfaisant d’un objet à la place d’une relation avec un être humain…

Des mères abusives ou abusées ou pathologiques ?

La vision qu’ont beaucoup de gens, notamment les psys, de l’allaitement long confine à la maltraitance à enfant. C’est ainsi que le psychanalyste Jean-Pierre Winter osait dire au colloque de la Cause des bébés sur « l’art de nourrir les bébés » (Montrouge, février 2005) que les femmes qui allaitent longtemps « mettent leurs enfants à leur service sexuel » !
L’allaitement long, un abus sexuel ?!

Pour Joëlle Lighezzolo et ses collègues, le choix de l’allaitement long est « potentiellement lourd de conséquences négatives pour le développement psychologique de l’enfant » [1] Ratés du sevrage ? Sevrages ratés ? Mères forcément coupables…

L’autre versant de la maltraitance à enfant, c’est la maltraitance à mère ! Les mères qui allaitent longtemps seraient de pauvres femmes masochistes, victimes d’enfants-tyrans
Ou bien encore des femmes bien atteintes psychiquement… Voir par exemple un article paru dans la revue « de thérapie familiale psychanalytique » Le Divan familial [2] sur des femmes pratiquant l’allaitement long. Quelques phrases et bouts de phrase pris au hasard : « graves faillites identitaires du côté de ces mères » ; « perturbation du lien mère-enfant » ; « place singulière que joue le fantasme de kidnapping comme organisateur de la dynamique engagée dans le lien mère-enfant » ; « la question de la différence des sexes et des générations reste peu élaborée chez ces femmes » ; « flou des limites » ; « négation de la coupure du cordon ombilical » ; « exclusion du tiers dans la relation » ; « érotisation de l’allaitement » ; « problématique de type incestuel » ; « séduction narcissique de la mère à l’égard de l’enfant »… N’en jetez plus
Les mêmes avaient auparavant qualifié l’allaitement prolongé de « modalité antidépressive » et développé la notion d’« allaitement addictif », l’enfant devenant alors « un moyen nécessairement indispensable à la poursuite d’une lactation dont la mère ne parvient pas à se sevrer » [3]… Ou encore : « L’allaitement fonctionnerait alors comme un processus vampirique par lequel la mère tenterait de se revivifier, afin de parer à ses propres déprivations narcissiques. » Un enfant cannibale, une mère vampire… dans quel mauvais film gore se trouve-t-on ?!

Françoise Dolto et l’allaitement long…
Extrait d’une interview parue dans le n° 44 de Choisir. La cause des femmes, septembre 1979.

 

 

Mauvais pour le couple ?

C’est un autre cliché très répandu que l’allaitement, surtout s’il se prolonge, exclut le père et risque de mettre à mal le couple.
On connaît notamment les imprécations de Marcel Rufo, pour lequel sein nourricier et sein érotique ne peuvent pas coexister : « Je vais encore déclencher une émeute, mais allaiter plus de six mois, quand l’enfant commence à avoir des dents, cela me pose question. Quand le sein a retrouvé sa fonction érotique, il ne se partage pas ! Ou alors, c’est qu’il y a érotisation de l’allaitement » [4].

L’idée qu’une femme allaitante puisse être également une amante est une idée largement combattue et refoulée, remplacée par l’image d’un amour maternel pur, asexué et exclusif, où l’excitation liée à l’érotisme et à la sexualité est bannie. D’autant qu’on a longtemps cru (peut-être certains le croient-ils encore ?) que les relations sexuelles pouvaient « gâter » le lait et empoisonner l’enfant, de même qu’une nouvelle grossesse. D’où, dans beaucoup de cultures, une interdiction des rapports sexuels tant que durait l’allaitement.

En fait, les femmes qui allaitent longtemps n’ont pas une vie sexuelle différente de celles qui n’allaitent pas/plus : les unes comme les autres peuvent ne pas avoir trop « la tête à ça », mais dans ce cas, c’est plus dû à la fatigue engendrée par une « double journée » de travail qu’à une baisse de libido que causerait l’allaitement !

Il y a quand même d’autres voix qui se font entendre, par exemple le psychologue Sylvain Missonnier qui, en 2003, déclarait sur le plateau de l’émission Les Maternelles : « Nous les psys en particulier, il faut qu’on fasse un mea culpa. On a été pendant très longtemps en train de tirer à vue sur des allaitements qui perduraient, comme s’il y avait une norme, qu’au-delà de 6 mois, c’était la fusion et la psychose symbiotique en vue. On a dit beaucoup de bêtises, tous les psys et un certain nombre de professionnels, là-dessus. »
Certes. Espérons qu’il fasse des émules, et que les femmes qui allaitent longtemps n’entendent plus toutes les horreurs décrites ci-dessus !

 

[1] Allaitement prolongé et ratés du sevrage : réflexions psychodynamiques, Cliniques méditerranéennes 2005 ; 72(2) : 265-80.
[2] Pascale Roman et Mathilde Dublineau, Allaitement maternel prolongé militant et constitution du lien intergénérationnel – Apport de l’épreuve du Rorschach, Le Divan familial 2008 : 20(1) : 151-169.
[3] L’allaitement prolongé comme modalité antidépressive, Perspectives psychiatriques 2006 ; 45(3) : 221-25.
[4] Elle, 25 avril 2005.

 

Article paru dans le n° 71 de Grandir autrement, juillet 2018. Mise à jour septembre 2024.

 

Mise à jour 2024

Une amie m’a envoyé cet article paru en 2015. Un bel enfilage de clichés freudiens. Attention, c’est du lourd… Un exemple : « Il est au demeurant intéressant de relever la connotation sexuelle dans le champ sémantique du lait. Dans la langue espagnole par exemple, leche désigne aussi bien le lait que le sperme. La dénomination de l’association militant pour l’allaitement la Leche League, porte ainsi, dans son signifiant même, toute la dimension sexuelle sous-jacente. » Sic !
L’allaitement prolongé : un refus du féminin
Nathalie Vesely-Lesourd
Dans Cliniques méditerranéennes 2015/2 (n° 92), pages 121 à 134.

A propos de l'auteur

Claude Didierjean-Jouveau

Animatrice de La Leche League France, rédactrice en chef de la revue "Allaiter aujourd'hui !" Auteur de plusieurs ouvrages sur l'allaitement, la naissance et le maternage.

4 commentaires

  1. Abigail

    « la question de la différence des sexes et des générations reste peu élaborée chez ces femmes »

    ah oui, ces mères là, je m’y reconnais, quelle engeance ! : ça commence par allaiter 4 ans et ça continue en achetant des chaussures roses à son fils parce que c’est celles qu’il veut et en lui disant que s’il ne veut pas manger d’œufs « parce que des fois il y a des bébés dedans, des bébés oiseaux, ou des bébés crocodiles ou même des bébés nirocéros ! » il n’est pas obligé, car il est déjà une personne, capable d’une pensée éthique 😉

  2. Carine

    Ca me fait froid dans le dos, de lire ce genre de propos venant de professionnels… Cette recherche de culpabilisation automatique des mères parce qu’elles ont une pratique hors norme, enfin en France. J’ai l’impression que cela concerne le maternage proximal en général et pas seulement l’allaitement long. Merci pour ce florilège et les références. C’est très intéressant.

  3. Alexia

    Je suis psychologue et je ne pense pas cela! Merci de ne pas nous mettre tous dans le même panier d’esprits fermés

  4. Claude Didierjean-Jouveau

    Bien sûr qu’il ya des psys qui ne pensent pas ça. J’en ai connu, j’en connais, certains même très proches de moi.
    Le problème, c’est que ce n’est pas eux/elles qu’on entend dans les médias (c’est Claude Halmos, sur France info), ce n’est pas eux/elles qu’on lit dans les magazines (c’est Claude Halmos, encore elle) ou dans les revues psys (ce sont les auteurs que je cite).
    Si les psys « qui ne pensent pas ça » se faisaient entendre, je serais ravie

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