Importance du contact physique mère-bébé, conséquences sur l’attachement et l’allaitement, ou : Serre-moi fort !

Importance du contact physique mère-bébé, conséquences sur l’attachement et l’allaitement, ou : Serre-moi fort !

Il n’existe sans doute aucun contact plus étroit et intime que celui que connaît le fœtus à l’intérieur du corps de sa mère, où il est constamment massé et enveloppé. La littérature, tant fictionnelle que psychologique, est d’ailleurs pleine de la nostalgie de ce contact et de l’envie de le retrouver.

L’« habitat naturel » du bébé

Pas étonnant donc que, dès la naissance, le nouveau-né recherche et ait besoin de la proximité physique avec sa mère. C’est vrai pour le bébé humain, comme pour tous les petits mammifères, chez lesquels on a décrit un « cri de détresse à la séparation » (SDC, separation distress call) qui s’apaise dès que le contact avec la mère est rétabli.

En fait, on peut dire, comme le médecin sud-africain Nils Bergman, que l’« habitat naturel » du bébé juste après la naissance, c’est le corps maternel. Quand on le sépare de cet « habitat », il a, comme tous les petits mammifères, cette « réaction de protestation-désespoir », qui aide à la survie en diminuant la dépense énergétique et la croissance, via une diminution du rythme cardiaque et de la température corporelle et une augmentation massive de la production d’hormones du stress (sachant que des taux élevés d’hormones du stress inhibent les fonctions intestinales, la digestion et la croissance).

Une fois que la mère et le bébé sont réunis, le rythme cardiaque et la température corporelle du bébé remontent et les hormones du stress diminuent. La recherche a ainsi montré que le contact peau à peau entre la mère et son bébé réduit la production d’hormones du stress de 74 % [1].

Le Dr Bergman observe que ce qu’on considère couramment comme la « norme » pour le rythme cardiaque, la température et les hormones du stress chez les prématurés en incubateur n’est que le reflet de cette « réaction de protestation-désespoir », et que les besoins vraiment normaux sont à redéfinir en se basant sur les normes physiologiques du prématuré lorsqu’il est en contact peau à peau avec sa mère.

L’hyper-contact de la tétée au sein

Même si cette proximité physique, ce contact peau à peau peuvent exister sans allaitement au sein, il n’en reste pas moins que les bébés allaités ont beaucoup plus de chances d’en bénéficier que les bébés nourris au biberon : le sein ne peut être donné à distance, contrairement au biberon qui peut l’être à distance de la longueur du bras (voire installé de façon à ce que le bébé se débrouille pour le boire tout seul…).

Les tétées sont, pour le bébé, une expérience sensitive, sensuelle, relationnelle et affective totale, où tous ses sens sont comblés : échange des regards, bain de paroles et des bruits déjà entendus in utero (notamment les bruits du cœur de la mère), odeurs et saveurs du lait (qui se modifient selon ce que la mère a mangé, comme le faisait le liquide amniotique que le bébé avalait en fin de grossesse), stimulations péri-orales (visage, nez, langue, bouche) dont on sait qu’elles améliorent les fonctions respiratoires et donc l’oxygénation du sang.

Ce contact peau à peau lors de la tétée aide à la communication entre la mère et son bébé. Comme le dit Ashley Montagu dans La peau et le toucher, « Les premières perceptions s’organisent autour de la tétée, sources de multiples sensations cutanées et tactiles. Le mouvement des lèvres du nourrisson sur le sein de sa mère, les progrès qu’il fait en observant le visage et les yeux de sa mère, les mouvements des mains et des doigts qui explorent le corps de sa mère, toutes les sensations associées à ces expériences permettent au bébé d’établir un code […] À partir de la connaissance du corps de sa mère, le bébé peut émettre des signaux susceptibles de provoquer les réponses qu’il souhaite. » [2]

Cette proximité de l’enfant avec sa mère dans l’allaitement est particulièrement marquée dans ce que Suzanne Colson a appelé le Biological Nurturing (BN), où la mère adopte une position semi-inclinée (« comme dans un transat »), et où le bébé, couché sur le ventre, plaqué sur le corps de sa mère, utilise des réflexes archaïques antigravitationnels lui permettant de trouver le sein sans qu’on ait à le soutenir, d’ouvrir grand la bouche et d’avoir une prise du sein efficace et sans douleur [3].

Cette interaction entre la mère et le bébé, on la retrouve également lors des tétées de nuit : la proximité physique permet à la mère et à son bébé de partager les mêmes formes de sommeil, leurs horloges internes sont comme synchronisées.

Ajoutons le portage !

Le portage lui aussi répond au besoin de contact du petit humain avec sa mère. Besoin dont on peut trouver l’origine dans son « immaturité » à la naissance.

Si l’on se base sur la taille du cerveau à la naissance et celle du cerveau adulte, et qu’on rapporte ces mesures à ce qu’elles sont pour les autres mammifères, on peut dire sans se tromper que les bébés humains naissent prématurés d’environ douze mois. En effet, pratiquement tous les mammifères naissent au moment où leur cerveau atteint 80 % de sa taille adulte, alors qu’à la naissance, le cerveau humain n’a que le quart de sa taille adulte (45 % chez les chimpanzés) et qu’il atteint ces fameux 80 % environ vingt-et-un mois après la conception, soit douze mois après la naissance. Cela signifie qu’il y a toute une période, s’étalant sur environ un an, qu’on peut qualifier de « grossesse hors utérus », où le développement des systèmes nerveux, digestif, immunitaire, etc., se poursuit, et où le bébé est complètement dépendant de l’adulte pour sa survie et son bien-être.

Cette immaturité explique le grand besoin de contact physique qu’ont les petits d’homme, de jour comme de nuit. Et c’est ce besoin que permettent de combler le cododo la nuit et le portage le jour.

Mais si le portage permet de combler ce besoin de contact, il a aussi des conséquences sur la relation de la mère avec son enfant.

C’est ainsi que des chercheurs du Columbia University College of Physicians and Surgeons ont montré, dans une étude faite en 1990, les effets d’un contact physique étroit sur le lien mère-enfant [4]. 23 nouvelles mères sont sorties de la maternité avec un porte-bébé en tissu souple (genre babysling), et 26 avec un siège en plastique rigide genre maxi-cosy. Les relations entre la mère et son bébé ont été appréciées à 2 mois, 3 mois ½ et 13 mois. Les tests incluaient l’expérience de la situation étrange d’Ainsworth (Ainsworth Strange Situation Test), les échelles de développement de l’enfant de Bayley et des vidéocassettes des interactions mère-enfant.

Les chercheurs ont observé que les mères qui avaient utilisé les porte-bébés en tissu avaient, à 3 mois ½, des réponses plus fréquentes aux vocalises de leur bébé, et plus d’échanges verbaux que l’autre groupe. À 13 mois, cette plus importante capacité de réponse à l’enfant semblait corrélée à un attachement mère-enfant plus sécurisant : 83 % des bébés du premier groupe étaient considérés comme ayant tissé un lien très sécurisant, contre 38 % dans le deuxième groupe. Très peu de bébés du premier groupe avaient des comportements d’évitement du contact physique vis-à-vis de leur mère, alors qu’ils étaient 38,5 % à en avoir dans le deuxième groupe.

Les chercheurs en concluaient que le fait de porter le bébé dans un porte-bébé permettant un contact physique étroit semble un bon moyen d’induire les comportements d’attachement réciproque, et que ce genre de porte-bébé permet à la mère qui a des difficultés à avoir un contact physique avec son bébé de les surmonter. Cette étude est particulièrement intéressante dans la mesure où la répartition des mères entre les deux groupes avait été faite au hasard et qu’on ne peut donc pas l’accuser d’être biaisée par le fait que ce serait les mères au départ les plus maternelles qui choisiraient de porter leur bébé.

Le même genre d’étude a été faite avec des mères toxicomanes américaines. Dans un des programmes, on les encourageait à utiliser un porte-bébé Snugli une à deux heures par jour. Comparé au groupe témoin sans intervention, les résultats étaient probants tant au niveau des enfants (attachement plus sécurisé) qu’au niveau des mères (moins de stress, moins de détresse) [5].

Et l’ocytocine dans tout ça ?

Si le contact physique, la tétée au sein et le portage favorisent l’attachement mère-enfant, c’est aussi une question d’hormones, et plus particulièrement d’ocytocine, cette hormone de l’amour et de la relation sociale.

Le bébé allaité et sa mère baignent dans l’ocytocine.

Le bébé porté aussi. C’est ainsi qu’une étude toute récente [6] a montré que, chez des bébés prématurés portés en peau à peau, « la durée de peau à peau au cours des huit dernières heures influe de façon statistiquement significative sur les taux d’ocytocine mesurés chez le bébé, et de façon dose-dépendante, avec une augmentation de 17 % des taux plasmatiques d’ocytocine par tranche de 10 minutes de peau à peau ».

Alors, que dire de l’enfant allaité alors qu’il est porté, de l’enfant « port’allaité » (néologisme créé par Eirual Lalla, monitrice de portage) ?!

J’aimerais conclure avec les mots d’une mère qui témoigne dans le numéro de janvier prochain d’Allaiter aujourd’hui, la revue de LLL France : « Bébé ne pleure quasiment pas, il dort ou regarde ce qui se passe. S’apaise et s’endort. Se réveille tranquillement… Bonheur de sentir son bébé à l’aise, de le voir vivre sa vie de bébé qui a besoin de ce continuum, d’être près de moi pendant quelques mois pour retrouver les sensations ressenties quand il était dans mon ventre… tout en pouvant vivre ma vie de maman de famille nombreuse avec mes deux mains ! »

 

Article paru dans Peps magazine, janvier 2019.

 

[1] Modi N, Glover V, Non-pharmacological reduction of hypercortisolemia in preterm infants, Infant Behavior and Development 1998 ; 21(86), Special ICIS issue.
[2] Ashley Montagu, La peau et le toucher : un premier langage, 1979
[3] Voir la vidéo sur son site : https://www.biologicalnurturing.com/video/bn3clip.html. C’est en anglais, mais les images parlent d’elles-mêmes. Voir aussi son livre L’allaitement instinctif. Biological nurturing.
[4] Anisfeld E, Casper V, Nozyce M, Cunningham N, Does infant carrying promote attachment ? An Experimental study of the effects of increased physical contact on the development of attachment, Child Development 1990 ; 61(5) : 1617-27.
[5] Harolyn ME Belcher et al, Spectrum of Early Intervention Services for Children with Intrauterine Drug Exposure, Infants & Young Children 2005 ; 18(1) : 2-15.
[6] www.co-naitre.net/actualites/impact-de-nature-soins-secretion-docytocine-chez-lenfant-premature-usa-2018/

About The Author

Claude Didierjean-Jouveau

Animatrice de La Leche League France, rédactrice en chef de la revue "Allaiter aujourd'hui !" Auteur de plusieurs ouvrages sur l'allaitement, la naissance et le maternage.

1 Comment

  1. Mathilde

    Merci pour cet article. Tiffany Fields en parle aussi dans son livre sur le toucher. Je connais une mère qui n’a pas allaité mais a pratiqué le cododo (pour compenser) pendant deux ans. C’est dommage et paradoxal que les pays riches utilisent encore trop les couveuses (J’ai été atterrée d’apprendre qu’une mère d’enfant prématuré n’avait “droit” qu’à une heure par jour de peau à peau avec son bébé).

    Il y a les livres de Nathalie Charpak:

    La méthode kangourou. Comment les mères des enfants prématurés se substituent aux couveuseset:
    Bébés kangourous : Materner autrement
    Commentaire de Michel Odent

    Au début était le Verbe

    18 août 2006

    Je ne puis m’empêcher d’évoquer cette affirmation biblique après avoir feuilleté ‘Bébés kangourous’. Il nous faut remercier le Dr Nathalie Charpak pour avoir familiarisé les parents de langue française avec ce que l’on appelle aujourd’hui ‘la méthode kangourou’. Ce livre est le premier qui soulève toutes les questions pratiques inspirées par l »invention’ colombienne. Cela peut paraitre étrange qu’il ait fallu tant de temps pour découvrir que le nouveau-né du mammifère humain a avant tout besoin du contact avec sa mère et qu’il ait fallu tant de temps pour ‘inventer’ une telle méthode. Le principe en est si simple, et si facilement compris par quiconque a un peu de bon sens. Dans le cas d’un bébé prématuré ou d’un bébé de très petit poids capable de respirer spontanément, la mère remplace l’incubateur. Dès que possible (idéalement dès la naissance) le bébé est maintenu de façon continue dans une sorte de poche marsupiale contre la poitrine de sa mère, en contact direct avec sa peau. Alors que l’incubateur (une caisse en verre avec un thermostat) n’apporte rien d’autre que de la chaleur, le contact continu avec le corps de la mère apporte beaucoup plus que cela.

    Il nous a fallu attendre les informations apportées par Nathalie Charpak (personnage clé de la Fondation Kangourou) pour réaliser que le concept de bébés marsupiaux est en train de faire le tour du monde. Nombre de lecteurs seront surpris de trouver des informations sur la méthode kangourou sur tous les continents (sauf sur le continent australien!). Ainsi ai-je appris que la maternité de l’hôpital Tu Du de Ho Chi Minh-city (probablement la plus grande maternité au monde avec ses 30 000 naissances par an) avait adopté la méthode colombienne pour réduire les taux d’occupation des incubateurs.

    Ceux qui ont eu l’expérience de la méthode avant que l’expression ‘méthode kangourou’ n’ait été introduite regretteront que cet apport à notre vocabulaire ne soit pas survenu plus tôt. Après avoir rencontré les Docteurs Rey et Martinez à Bogota en 1981, je suis devenu plus audacieux dans le cas d’un prématuré né à la maternité de l’hôpital de Pithiviers. En fait il était alors difficile de justifier notre attitude, qui devait rester semi-clandestine. Le seul problème médico-légal auquel j’ai du faire face après avoir été responsable d’environ 15 000 naissances à Pithiviers a concerné un bébé kangourou. Lorsque j’ai demandé à Edgar Rey de participer à un livre collectif sur la prématurité, il a donné une parfaite description de ce qu’il a appelé ‘le traitement ambulatoire du prématuré’, sans aucune référence aux marsupiaux (Edgar Rey Sanabria. Accueillir le prématuré. In: Un enfant, prématurément. Les cahiers du nouveau-né 1983; 6: 197-203). Dès que l’expression ‘méthode kangourou’ a été introduite, nous avons pu être plus audacieux et faire référence à une méthode dont beaucoup avaient entendu parler. Une nouvelle phase de l’histoire de cette façon de materner allait commencer. Qui a introduit l’expression ‘Bébés kangourous’? Et quand? Qui le sait? Retenons que ‘Au début était le Verbe’.

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