Enfants exposés, enfants exhibés ?
De tout temps, les parents ont aimé prendre des photos de leurs enfants et les montrer à la famille, aux amis, aux collègues… On les collait dans des albums dont héritaient ensuite lesdits enfants devenus adultes, heureux d’avoir des images de leur enfance.
La photo numérique et les réseaux sociaux ont complètement transformé ce phénomène, lui donnant une toute autre dimension.
Au lieu de quelques dizaines, ce sont maintenant des centaines, voire des milliers de photos (et de vidéos) que prennent les parents (surtout pour le premier enfant, il faut bien dire…). Et ces photos et vidéos, ils les postent sur Facebook, Instagram, etc., pas toujours conscients qu’elles peuvent être vues par des milliers de personnes (beaucoup ne maîtrisent pas bien les paramètres de confidentialité), et que ces enfants devenus grands n’apprécieront peut-être pas d’avoir été ainsi exhibés (on commence à voir des procès d’enfants contre leurs parents, les premiers demandant que ces photos ne soient plus en ligne, les seconds rétorquant qu’elles sont leur propriété et qu’ils peuvent en faire ce qu’ils veulent…).
Un degré de plus est atteint (et on passe très facilement et insensiblement de l’un à l’autre) quand l’enfant devient un faire-valoir, qu’on habille, qu’on maquille (voir toutes ces petites filles transformées en lolitas), qu’on met en scène et qu’on expose (en anglais, exposition se dit exhibition…), en espérant récolter le plus de likes possible, voire de l’argent (une vidéo qui fait le buzz rapporte de l’argent via la publicité diffusée sur YouTube).
Comme on se met soi-même en scène, comme on met en scène sa vie, son environnement, on met en scène ses enfants : regardez comme ils sont beaux, comme ils sont marrants, comme ils sont intelligents, comme ils sont craquants ! Sans compter que les enfants peuvent prendre plaisir à cette mise en scène, à cette exhibition, et même en rajouter, conscients qu’ils sont alors qu’ils sont photographiés ou filmés pour un « public ». Un article du Washington Post qui analyse ce phénomène (Their Tube. When every moment of childhood can be recorded and shared, what happens to childhood?) écrit que ces enfants « n’expérimentent pas l’enfance, mais sont perpétuellement en train d’évaluer comment leurs expériences vont être évalués par leur audience ».
Et maintenant le dernier étage de la maltraitance youtubeuse, qui m’a fait froid dans le dos quand je l’ai découvert : des parents qui font des blagues (pranks) à leurs enfants, filment leurs réactions et mettent le tout sur Internet. Et quelles « blagues » … Ici, ils salissent la moquette et accusent les enfants de l’avoir fait jusqu’à ce que ceux-ci s’effondrent en larmes (vidéo vue 2 millions de fois). Là, ils font croire à leurs petits qu’ils sont partis de la maison sans les prévenir jusqu’à ce qu’ils pleurent d’angoisse…
Les nouvelles technologies au service de la maltraitance…
Chronique parue dans le n° 66 de Grandir autrement, septembre 2017.
À lire, sur le sujet, deux articles éclairants : « Sur les réseaux sociaux : quand l’enfant devient un faire-valoir » et « Les enfants sont tellement filmés et photographiés que leur vie tourne à la téléréalité ».
Et aussi : « En Allemagne, tu n’exhiberas pas ton gamin sur Facebook ».
À voir, la vidéo Le cas Swan The Voice & Néo The One
Un commencement d’encadrement juridique en France (6 octobre 2020) : Enfants « influenceurs » du web : l’Assemblée autorise un encadrement juridique pour protéger les mineurs de moins de 16 ans.
Voir aussi l’article dans Télérama, 2 décembre 2021 : A-t-on le droit de poster des photos de ses enfants sur les réseaux sociaux ?
Illustration : en 2015, la police allemande mettait en garde les parents.