Le lait (maternel) peut-il être « mauvais » ?

Le lait (maternel) peut-il être « mauvais » ?

Commençons par affirmer haut et fort que le « mauvais » lait, ça n’existe pas ! La seule contre-indication totale et définitive à l’allaitement, c’est la galactosémie congénitale, une maladie très rare où le bébé manque d’une enzyme nécessaire au métabolisme du galactose, un composé du lactose, sucre du lait. Et même dans ce cas, c’est le bébé qui a un problème l’empêchant de profiter du lait, et non celui-ci qui est « mauvais ».

Des goûts…

Les laits infantiles sont des produits industriels et donc standardisés : sauf accident dans la chaîne de fabrication [1], tel produit de telle marque doit toujours avoir strictement la même composition chimique, le même aspect, le même goût [2].
Ce n’est évidemment pas le cas du lait maternel, qui change de goût au gré des variations de l’alimentation maternelle. On a longtemps enjoint aux femmes allaitantes d’éviter certains aliments qui « donnent du goût au lait ». On sait maintenant que tous les aliments donnent du goût au lait, un goût plus ou moins fort selon la quantité de principes volatils contenus dans l’aliment. Dès sa naissance (et même avant, puisque ce qui est vrai du lait maternel l’est aussi du liquide amniotique…), Bébé est invité à la table familiale !
On sait aussi qu’il apprécie ces goûts, même prononcés. On a par exemple demandé à des mères d’absorber des capsules d’ail. Une heure ou deux après, le lait avait une odeur d’ail, mais les bébés, loin de faire la grimace, ont tété davantage et consommé plus de lait ! [3]
Sauf intolérance particulière du bébé (par exemple aux protéines du lait de vache), les mères allaitantes n’ont donc aucune raison d’éviter certains aliments. Une alimentation variée, équilibrée, pas trop « trafiquée » et sans abus, est ce qu’il y a de mieux et pour elles et pour leurs bébés.

… et des couleurs

Les changements de couleurs sont moins connus, car le plus souvent on ne s’en aperçoit que si l’on tire son lait.
Ils semblent surtout liés à la présence de colorants alimentaires (naturels ou artificiels) ou de certains médicaments dans la diète de la mère. C’est ainsi qu’une couleur verte peut être due à des boissons contenant un colorant vert, à des algues (surtout en comprimés), à certains types de vitamines…
Même si c’est sans doute perturbant à voir, il n’y a pas d’inquiétudes à avoir pour l’allaitement.

La « richesse » du lait

La composition du lait varie du début à la fin de la tétée, d’un moment à l’autre de la journée, d’une journée à l’autre, d’un mois à l’autre, et même entre le sein droit et le sein gauche ! Les analyses de lait tant prisées dans les années 1950 et 1960 en sont d’autant plus ridicules…
Cela dit, chez des femmes relativement bien nourries, la composition moyenne du lait reste remarquablement stable, même dans les moments où elles se nourrissent mal. La seule différence qu’on remarque éventuellement, c’est une teneur plus basse en certaines vitamines.
Les types d’acides gras présents dans le lait de femme varient selon la diète maternelle, mais ce sont des variations normales.
En un mot, il n’y a pas de lait « pas assez riche ». Même des femmes mal nourries produisent un lait de qualité pour leurs bébés, et ce n’est que dans les cas de famine et chez des femmes n’ayant aucune réserve que la quantité et la qualité du lait seront affectées.

Forme et beauté

Contrairement à ce qu’on entend dire parfois, il n’y a aucun risque à se faire faire une teinture ou une permanente quand on allaite : les produits utilisés ne se retrouvent pas du tout dans le lait.
De même, il n’y a pas de raison pour se priver d’exercices physiques. Il y a quelques années, on a découvert qu’après des exercices intensifs, la teneur du lait maternel en acide lactique était augmentée, et que les bébés pouvaient moins bien l’accepter. Aussitôt on a enjoint aux femmes allaitantes d’attendre 90 minutes pour donner le sein après un exercice physique ! Depuis, cette étude a été critiquée : elle ne faisait pas la différence entre exercices modérés et exercices intenses, et, surtout, on avait administré le lait aux bébés à l’aide d’un compte-gouttes ; c’était nouveau pour eux et pouvait suffire à expliquer leur « réticence ».
On s’accorde maintenant à penser que l’exercice physique est bon pour la femme allaitante comme pour tout un chacun, et qu’il ne présente aucun inconvénient pour le bébé.

Ce qu’on met sur le sein

Même si le lait est bon, le bébé peut se retrouver intoxiqué par les produits appliqués sur les mamelons. Attention donc à ne pas utiliser n’importe quelle crème ou préparation. On se souvient de l’alcool glycériné qui, largement prescrit pour soigner ou prévenir les crevasses, ne faisait que les aggraver (notamment en desséchant la peau) et, cerise sur le gâteau, alcoolisait les bébés en continu…

Quelques gouttes de sang

On a longtemps cru que le lait était du sang « blanchi ». Est-ce pour cette raison que la présence de sang « non blanchi » dans le lait fait peur et qu’on craint qu’il ne soit nocif pour le bébé ?
Les causes possibles sont variées. Ce peut être une crevasse qui saigne, ou une rupture de capillaire dans le sein (due par exemple à un usage un peu brutal du tire-lait), ou un papillome dans un canal lactifère.
En tout cas, quelle que soit la cause, cela s’arrange pratiquement toujours tout seul en quelques jours et ne présente aucun problème pour le bébé allaité. Il faut juste savoir que le sang se retrouvera dans ses selles et ne pas s’en inquiéter.

Alcool, tabac, etc.

Ce qui est vrai pour les polluants environnementaux, l’est aussi pour toutes les substances que la mère peut être amenée à ingérer : même pollué, le lait maternel reste le meilleur quand on prend en compte tous les bénéfices de l’allaitement et tous les risques des laits industriels. Une étude a par exemple montré que l’effet protecteur de l’allaitement vis-à-vis des infections respiratoires est particulièrement net chez les enfants vivant dans un environnement tabagique.
Une fois ces prémisses posées (prémisses confirmées par toutes les études épidémiologiques), les mères allaitantes ont le droit d’être informées à propos des multiples études faites ces dernières années sur les effets du tabac, de l’alcool, de la caféine, etc., sur le lait et la lactation.
Pour ce qui est tout d’abord du tabac, il semble entraîner un sevrage plus rapide, de l’irritabilité chez le bébé, une moindre production de lait, un réflexe d’éjection moins bon. S’il est impossible d’arrêter complètement la cigarette, il est bon de réduire sa consommation – car les effets augmentent avec elle – et de fumer juste après la tétée plutôt qu’avant ou pendant (la quantité de nicotine reçue par le bébé est jusqu’à dix fois plus forte si la mère a fumé juste avant la tétée), si possible hors de présence du bébé.
Une consommation d’alcool faible et occasionnelle est compatible avec l’allaitement. Par contre, consommé régulièrement à hautes doses, il peut entraîner : une consommation de lait abaissée (malgré des tétées plus nombreuses) et donc un gain de poids insuffisant, de la somnolence chez le bébé, un moins bon réflexe d’éjection, etc. L’alcool passe rapidement dans le lait, et s’y retrouve à un taux au moins égal à celui trouvé dans le sang de la mère.
En-dessous de cinq tasses de café par jour, la caféine ne cause pas de problèmes à la plupart des femmes allaitantes et leurs bébés. Au-delà [4], elle peut entraîner une surstimulation du bébé voire de l’insomnie, des coliques, un taux de fer plus bas dans le lait.

Comme le répète si souvent le Dr Jack Newman, spécialiste canadien bien connu de l’allaitement, il ne s’agit pas d’interdire l’allaitement à toutes les femmes « qui ne seraient pas des saintes » ! Il s’agit simplement d’informer les mères pour qu’elles fassent des choix éclairés, en pesant les avantages et les risques.

 

[1] Ce qui arrive plus souvent qu’on ne croit. Voir par exemple dans Breastfeeding matters, de Maureen Minchin, la liste de tous les cas où des lots de lait infantile ont dû être « rappelés » pour cause de contamination, de défaut de fabrication, d’ingrédients en trop grande ou trop petite quantité, etc.
[2] Au passage, plaignons ces pauvres bébés réduits au plat unique plusieurs fois par jour pendant plusieurs mois. Pas idéal pour la formation du goût… Ce n’est sûrement pas un hasard si les goûteurs de vin ont tous été allaités au moins neuf mois !
[3] Mennella J et Beauchamp G, « Maternal diet alters the sensory qualities of human milk and the nursling’s behavior », Pediatrics 1991 ; 88(4) : 737-44.
[4] Attention à prendre en compte toutes les sources possibles de caféine : le café bien sûr, mais aussi le thé, les boissons gazeuses (Coca-cola…) et les médicaments qui en contiennent.

 

Extrait de L’allaitement maternel. La voie lactée.

A propos de l'auteur

Claude Didierjean-Jouveau

Animatrice de La Leche League France, rédactrice en chef de la revue "Allaiter aujourd'hui !" Auteur de plusieurs ouvrages sur l'allaitement, la naissance et le maternage.

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