Alloparents, gage d’humanité
J’ai déjà parlé à plusieurs reprises des alloparents dans Grandir autrement, de leur rôle, de leur importance. Et de l’ouvrage de Sarah Blaffer Hrdy, Mothers and others, qui est LE livre sur les alloparents. Aussi suis-je particulièrement heureuse qu’il soit enfin publié en français, sous le titre Comment nous sommes devenus humains [1].
Rappelons que les alloparents sont tous les proches, adultes et plus grands enfants, parents et voisins, qui peuvent être amenés à s’occuper du bébé.
Dans son livre, Sarah Blaffer Hrdy montre que, contrairement à ce qu’on observe chez les « grands singes » (chimpanzés, gorilles et orangs-outans) où la mère garde son bébé avec et sur elle pendant plusieurs mois et empêche tout autre membre du groupe, mâle ou femelle, de s’en approcher, les humains, y compris dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, se caractérisent par un certain degré de partage des soins aux petits. Chez les chasseurs-cueilleurs, on estime que les bébés passent entre 20 et 60 % de leur temps diurne dans les bras d’autres personnes que leur mère (la nuit, par contre, ils sont toujours lovés contre elle), essentiellement des parent·e·s à elle.
Rassurons donc Madame Badinter : non, nous ne sommes pas des chimpanzés [2]… mais plutôt des macaques de Barbarie qui, comme beaucoup d’autres primates, pratiquent tous l’infant-sharing !
Où sont les villages ?
Mais où sont les alloparents dans notre mode de vie contemporain ? Comme l’écrit l’Américaine Beth Berry dans un article fort intéressant publié sur son blog [3] : « Il faut tout un village [pour élever un enfant], mais il n’y a plus de villages. »
Les grands-mères sont souvent loin, ou bien la mère ne leur fait pas confiance pour s’occuper du bébé, car leurs conceptions du maternage sont trop divergentes. Les sœurs, cousines, tantes…, si elles existent, sont bien occupées de leur côté, ou trop loin de la mère pour pouvoir être sollicitées facilement. Reste… le père, qui fait un alloparent tout à fait acceptable, mais n’est généralement présent que le soir et le week-end.
Et voilà comment on se retrouve avec des mères qui n’ont pas d’autre alternative que de rester à la maison pour s’occuper seules de leurs petits, au risque de s’épuiser, ou de s’en séparer toute la journée et les mettre en garde avec des inconnus sans lien avec elles et leurs enfants…
Construire l’humanité
En l’absence de ces alloparents que j’appellerais « naturels », la seule solution est donc de réinventer un village (Beth Berry parle de re-villaging, difficile à traduire !) en se forgeant un réseau d’alloparents de façon volontariste.
Ce n’est pas seulement une garantie pour les mères d’éviter le burn-out, c’est aussi un gage d’humanité pour les générations futures. Car pour Sarah Blaffer Hrdy, le fait pour les bébés d’avoir des alloparents est ce qui a permis aux êtres humains de devenir des « animaux ultra-sociaux », capables de coopération, d’empathie, de générosité, de sollicitude envers l’autre : « Afin de maintenir le contact tant avec leur mère qu’avec des alloparents bienveillants, ils prennent l’habitude de regarder les visages, de les observer et d’essayer d’y lire ce qu’ils expriment (…) Sensibles à ces signaux, ils deviennent capables d’interpréter les états mentaux et émotionnels des autres, et donc capables d’un certain degré d’engagement intersubjectif. »
Et voilà pourquoi la traduction française de son ouvrage a pour titre Comment nous sommes devenus humains !
[1] Aux éditions L’Instant présent.
[2] La femme réduite au chimpanzé, Libération, 10 février 2010.
[3] In the Absence of the Village, Mothers Struggle Most.
Chronique parue dans le n° 62 de Grandir autrement, janv/fév 2017.
Voir aussi Les alloparents, c’est quoi, ça sert à quoi, et Alloparents et sièges auto.