Allaitement et confiance
Lorsqu’on étudie l’histoire de l’allaitement, on s’aperçoit que le manque de confiance dans la capacité des femmes à nourrir totalement leurs bébés de leur lait « remonte à la plus haute Antiquité ». Sauf peut-être chez les peuples « primitifs », l’allaitement exclusif au sein n’a pratiquement jamais été la règle : refus de donner le colostrum considéré comme du « mauvais » lait, administration dès les premiers jours de compléments divers et variés censés rendre l’enfant plus « solide » (eau, sucre, miel, tisanes, bouillies, etc.).
C’est évidemment toujours vrai de nos jours. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les statistiques de l’OMS : dans les années 2010, les enfants exclusivement allaités les six premiers mois étaient 1 % à Djibouti, 9 % en Tunisie, 10 % au Yémen, 20 % en Irak.
Pourquoi un tel phénomène ?
On peut lui trouver de nombreuses explications, tant socio-culturelles que psychologiques.
D’abord sans doute une volonté de se démarquer de l’animal, et en ce sens, les compléments seraient la marque de la civilisation, de l’humain !
Ensuite, une peur/jalousie de la femme, de son pouvoir sur l’enfant, des capacités de son corps qui déjà a fait grandir le fœtus. D’où la volonté chez l’homme, et plus généralement chez les tiers, de s’immiscer dans cette relation. Et en ce sens, les compléments seraient le signe de l’avènement du couple et de la famille nucléaire !
Enfin, il est évident que l’accouchement et l’arrivée du bébé représentent pour chaque femme une telle période de crise, de bouleversement, de nécessaire réajustement, qu’il est bien normal qu’elle doute alors de ses capacités à allaiter, et qu’elle s’angoisse à l’idée d’assurer à elle seule la survie de cet être tout neuf.
Les conditions mêmes de l’accouchement à notre époque, sa médicalisation croissante, font aussi que la femme n’est pas du tout entraînée à faire confiance à son propre corps, à compter sur ses propres forces, mais bien au contraire à dépendre de machines et de médicaments. S’en remettre au biberon et au lait en poudre, produits « extérieurs » à elle et « objectivables », semble logique dans la foulée.
Ce qui sape la confiance
Or, à un moment où la femme aurait besoin d’être entourée, rassurée sur ses capacités et ses compétences, tout est fait au contraire pour la déstabiliser et la faire douter.
D’abord, bien sûr, les biberons de complément, si souvent proposés de façon systématique. Non seulement ils risquent de créer des problèmes d’allaitement, mais surtout ils véhiculent le message implicite : « De toute façon, vous ne serez pas capable d’allaiter totalement votre bébé. »
Toutes les règles rigides qu’on édicte quant au nombre et à la durée des tétées, tous les gadgets dont on fait croire qu’ils sont indispensables, tout cela entrave un bon démarrage de l’allaitement, contribue à le rendre fastidieux, et rend la mère dépendante (d’une règle ou d’un ustensile quelconque).
Les remarques plus ou moins bienveillantes de l’entourage familial, le discours « à double entrée » du corps médical, qui valorise l’allaitement maternel tout en soulignant à plaisir ses inconvénients et ses pathologies, tout cela alimente et fait écho aux propres doutes que la femme nourrit elle-même sur ses capacités.
Comment acquérir cette confiance
Pour acquérir cette confiance en soi si précieuse, il est important de :
- bien s’informer avant ;
- s’assurer dans la mesure du possible que les conditions de l’accouchement donneront confiance dans ses capacités à être mère, et non l’inverse ;
- savoir vers qui se tourner en cas de problème ;
- et faire confiance à son enfant.
C’est là qu’une association comme La Leche League trouve sa place. En effet, même si de par son histoire et son étendue internationale, LLL détient sans doute la plus grande somme de connaissances sur l’allaitement, l’animatrice, dans l’aide de mère à mère, ne se présente pas comme la « spécialiste » qui « sait » et dit ce qu’il faut faire. Au contraire, tout en faisant bénéficier la mère de l’expérience accumulée de centaines de milliers d’autres mères, elle cherche à lui redonner, à elle et au père, le rôle d’experts en ce qui concerne leur propre enfant. En leur disant : observez votre enfant, suivez votre cœur, c’est vous qui savez ce qui est bon pour lui. (Voir l’article De mère à mère)
Article paru dans le n° 19 d’Allaiter aujourd’hui.