Empathie, vous avez dit empathie ?
Il y a quelque temps, j’ai eu l’occasion de voir le documentaire de Valeria Lumbroso, Entre toi et moi, l’empathie. Je l’ai trouvé tellement passionnant que j’ai eu envie de vous en parler et de vous inciter à le visionner [1].
Qu’est-ce que l’empathie, sinon la capacité à ressentir ce que l’autre ressent tout en restant soi-même ? Cette capacité est-elle innée ou acquise ? Est-elle propre à l’être humain ou commune à tous les mammifères ? C’est à ces questions que cherche à répondre le documentaire en interrogeant un certain nombre de chercheurs et en détaillant un certain nombre d’expériences.
Alors innée, cette capacité ? On sait que, dès 18 mois, les enfants offrent spontanément leur aide à un adulte qu’ils perçoivent en difficulté pour accomplir une tâche. Font-ils cela pour se mettre en valeur, se faire bien voir, ou par désir sincère et spontané d’aider l’autre ?
Alma, une petite fille de 3 ans, assise sur les genoux de son papa, regarde une scène sur un écran vidéo qui mesure la dilatation de ses pupilles (le degré de dilatation signe le degré d’agitation de l’enfant). L’assistante de recherche fait tomber « accidentellement » un gobelet et signale qu’elle a besoin d’aide pour le récupérer. Alma, qui sait que la scène qu’elle voit sur l’écran se passe « en vrai » derrière l’écran, vient spontanément ramasser l’objet.
Dans un deuxième temps, la même situation se reproduit, mais le papa a reçu comme consigne de retenir Alma. La dilatation de ses pupilles est alors multipliée par trois : le fait de ne pas pouvoir apporter son aide suscite une grande agitation chez elle. Dès que le papa relâche son étreinte, Alma court ramasser l’objet, et ses pupilles retrouvent une dilatation normale. Fait intéressant : l’enfant est tout aussi satisfait si quelqu’un d’autre aide l’adulte. Ce qui lui importe, c’est donc bien que l’autre reçoive l’aide nécessaire.
Mais cette capacité innée de « se mettre à la place de l’autre » en ressentant ses émotions a besoin, pour se développer, d’être nourrie par une relation avec des adultes empathiques. A contrario, des enfants grandis sans amour, sans soins, subissant des traumatismes et des maltraitances, risquent fort de perdre cette capacité d’empathie. C’est ce que montre une expérience faite chez des « enfants des rues » emprisonnés à la prison de Freetown (Sierra Leone). Quand on leur demande de regarder des visages exprimant quatre émotions principales (joie, peur, colère, tristesse) et de les identifier, ils ne font pas la différence entre la peur, la tristesse et la colère, identifiant toutes les émotions négatives comme de la colère. Dans leurs expériences précoces d’enfants des rues, il était sans doute vital d’identifier la colère chez l’autre, signe d’un danger possible. Et mieux valait voir de la colère là où il n’y en avait pas que de ne pas la reconnaître quand c’était le cas… Mais cette incapacité à reconnaître les vraies émotions de l’autre a créé chez eux une infirmité affective et des réponses comportementales inadaptées (ils ne savent qu’attaquer ou s’enfuir).
Pour d’autres raisons, les personnes avec autisme ont elles aussi du mal à reconnaître les émotions et à ressentir ce que l’autre ressent. Je connaissais les recherches faites en 2010 par des chercheurs du Centre de neuroscience cognitive de Lyon montrant que l’administration intranasale d’ocytocine améliore significativement les capacités des patients autistes à interagir avec les autres personnes [2]. Mais voir sur l’écran l’avant-après (avant le spray d’ocytocine, la personne regarde les visages en évitant systématiquement la région des yeux ; après l’administration d’ocytocine, ce n’est plus du tout le cas), croyez-moi, c’est vraiment bluffant !
Alors, n’hésitez pas, allaitez, maternez, baignez vos enfants d’ocytocine, vous en ferez des adultes empathiques !
[1] Il a été diffusé sur France 5 dans l’émission « L’empire des sciences ». Visible ici : http://www.colloque-tv.com/programmes-documentaires/entre-toi-et-moi-l-empathie-par-valeria-lumbroso/entre-toi-et-moi-l-empathie
[2] Andari E et al., Promoting social behavior with oxytocin in high-functioning autism spectrum disorders, PNAS 2010 ; 107(9) : 4389-94 : www2.cnrs.fr/presse/communique/1793.htm
Cette chronique est parue dans le n° 55 de Grandir autrement