Pas si bêtes, les enfants !
On a souvent tendance à considérer les petits enfants comme des êtres irrationnels n’obéissant qu’à leurs pulsions et inaccessibles à un raisonnement avant le fameux « âge de raison ». Et si ce n’était pas le cas ? Si les enfants de 3 ans réfléchissaient en fait avant d’agir, n’obéissant pas à une demande absurde ?
C’est ce que tend à montrer une étude faite à l’Université de Yale [1] sur 58 enfants âgés d’environ 3 ans (désolée de vous parler encore une fois d’une étude américaine, mais c’est le plus souvent là qu’est fait ce genre de recherche ; croyez-moi, j’aimerais pouvoir vous parler aussi souvent d’études françaises…).
Trois expériences ont été menées où l’on demandait aux enfants d’aider l’adulte en lui apportant un objet.
La première a montré que les enfants se montrent moins enclins à apporter l’objet demandé lorsqu’il est hors d’usage ou qu’il ne permet pas d’effecteur la tâche envisagée. Ainsi, si on leur dit, en montrant un verre percé, « Donne-moi ce verre pour que j’y verse de l’eau », la majorité des enfants choisissent de ne pas le faire. Alors qu’ils sont tout prêts à apporter leur aide si le verre est intact. De même, si l’expérimentateur dit à l’enfant qu’il doit passer un coup de téléphone et lui demande d’apporter un téléphone jouet, l’enfant ne le fera pas, alors qu’il apportera volontiers le vrai téléphone.
La seconde expérience a permis de constater que ce n’est pas seulement l’effet d’une préférence pour des objets qui fonctionnent puisqu’ils apportent le verre percé s’il s’agit de le mettre à la poubelle ou de l’utiliser comme emporte-pièce pour faire un rond dans de la pâte à modeler.
La troisième expérience a montré que les enfants ne répondent pas à une demande concernant un objet hors d’usage si la tâche ne peut être accomplie qu’avec le même objet en état de marche, mais qu’ils vont y répondre si celle-ci peut être effectuée avec n’importe quel objet. Par exemple, s’il s’agit de maintenir des papiers, ils apporteront aussi bien le « faux » objet que le « vrai » si tous les deux peuvent faire office de presse-papier.
But ultime
Très souvent, l’enfant ne se contentait pas de ne pas répondre à la demande ; il avertissait l’adulte de son erreur (prendre une boîte de crayons vide alors qu’il a dit vouloir dessiner, enfiler un habit mouillé alors qu’il déclare avoir froid) et lui proposait une meilleure solution pour atteindre son but.
Pour les deux auteurs de l’étude, cela veut dire que pour le jeune enfant, aider quelqu’un signifie prêter attention au but ultime plutôt que de répondre « bêtement » à une demande expresse, ce qui suggère une capacité remarquable de compréhension, de discernement, d’analyse et de critique.
Alors, la prochaine fois qu’un petit de 3 ans n’« obéira » pas à l’une de vos demandes, dites-vous que ce n’est peut-être pas juste parce qu’il est « en phase d’opposition » ou veut vous faire enrager, et demandez-vous si votre demande obéit à une logique évidente !
[1] Martin A et Olson KR, When Kids Know Better: Paternalistic Helping in 3-Year-Old Children, Developmental Psychology 2013 ; 49(11) : 2071-81. En ligne ici.
Cette chronique est parue dans le numéro 50 de Grandir autrement.