Raconter (ou pas) des histoires qui font peur ?
Dans ma dernière chronique, je vous parlais du livre de la pédiatre Catherine Gueguen, Pour une enfance heureuse. Repenser l’éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau [1], me réjouissant que soient mises ainsi à la portée du public les plus récentes découvertes sur le développement du cerveau et la façon dont elles confortent des pratiques de maternage respectueuses des besoins des enfants.
Elle y parle entre autres de l’amygdale [2], une partie du cerveau (rien à voir avec LES amygdales qu’on a au fond du pharynx !) qu’on peut appeler le « centre de la peur », car son rôle est de détecter tout danger potentiel et de nous alerter. L’amygdale est mature dès la naissance, mais pas le cortex, ni l’hippocampe, ni les connexions entre le cortex et le système limbique, qui permettent à l’adulte qui a eu peur de se raisonner et de se calmer. Résultat : le petit enfant qui a peur ne peut maîtriser seul cette peur ; et « tous les souvenirs de peur vécus durant l’enfance gardent une empreinte dans l’amygdale, de façon inconsciente et durable ».
Quelque temps après avoir lu son livre, j’ai eu l’occasion d’assister à une conférence qu’elle donnait sur le même sujet. Elle y a parlé d’une conséquence qu’elle n’aborde pas dans son livre, et qui m’a bien fait gamberger depuis.
Je la cite : « Quand j’ai étudié les dernières recherches sur le cerveau et que j’ai constaté que l’enfant jusqu’à 5-6 ans n’a absolument pas les structures cérébrales pour faire face à la peur, et que les souvenirs de peur restent mémorisés dans son amygdale cérébrale à vie, je me suis posé des questions [sur le fait de raconter aux petits des histoires qui font peur]. Au 20e siècle, nous ne savions pas cela. La connaissance nous fait progresser et évoluer. Actuellement, je ne vois pas l’intérêt de faire peur sciemment à des petits en sachant cela. Par contre, à partir de 7 ans, les histoires qui font peur peuvent les aider à prendre du recul, à réfléchir. D’ailleurs, les contes traditionnels étaient destinés aux adultes. Ces écrivains étaient plus raisonnables que nous… » [3]
Je me suis alors souvenue d’un de mes enfants qui, vers 3 ans, demandait, soir après soir, qu’on lui raconte l’histoire des Trois Petits Cochons, et qui, dans le même temps, s’est mis à faire chaque nuit des cauchemars avec un loup…
À l’époque, je ne jurais que par Bruno Bettelheim et son livre Psychanalyse des contes de fées [4]. Pour lui, « ces contes répondent aux angoisses des enfants en les informant sur les épreuves à venir et les efforts à accomplir avant d’atteindre la maturité […] Ainsi, telle version des Trois Petits Cochons permet au jeune enfant d’intégrer la nécessité, pour grandir, de passer du principe de plaisir (régi par la prévalence du monde imaginaire, de la toute-puissance infantile) au principe de réalité (régi par les contraintes de la vie quotidienne, liées à la socialisation) » [5]. Une catharsis, en quelque sorte…
Je ne me souviens pas s’il donnait un âge à partir duquel les contes avaient cet effet sur l’enfant. Mais aujourd’hui, sachant ce que je sais maintenant, j’y regarderais à deux fois avant de lire certains albums (au hasard : Les trois brigands [6] ?) à un petit.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
[1] Éditions Robert Laffont, collection Réponses, 2014.
[2] Ibid., p. 109-113.
[3] Communication personnelle.
[4] Paru en français chez Robert Laffont en 1976.
[5] http://fr.wikipedia.org/wiki/Psychanalyse_des_contes_de_fées
[6] Indiqué « à partir de 3 ans ». Certes, les trois brigands se transforment en gentils, mais après avoir été bien terrifiants, non ?
Cette chronique est parue dans le numéro 52 de Grandir autrement.