Pas d’enfants en résidence surveillée !
Pourrait-on, dans notre société ultra-sécuritaire et ultra-sécurisée, laisser nos enfants un peu plus libres de leurs mouvements et de leur temps ?
Il y a quelque temps, j’ai lu un article fort intéressant de l’essayiste britannique Jay Griffiths intitulé « Pourquoi les parents devraient laisser leurs enfants tranquilles » [1] où elle montre comment, autrefois chez nous et encore aujourd’hui dans d’autres cultures, les enfants, après avoir été rassasiés de contact, portage, maternage… dans leur petite enfance, jouissent ensuite d’une grande liberté et sont très autonomes.
Cela m’a rappelé le principal enseignement que j’avais retiré des écrits de Jean Liedloff, l’auteure du Concept du continuum, quand je l’avais lue dans les années 1980 : non pas tant le besoin de proximité continue du bébé (concept qu’on n’appelait pas encore « maternage proximal », mais que je connaissais et pratiquais déjà, notamment grâce à La Leche League, que j’ai connue en 1979), mais ce qu’elle disait du bambin et de l’enfant [2].
Elle raconte avoir observé que chez les Indiens Yequanas, avec lesquels elle avait vécu de longs mois, les enfants « jouaient toute la journée sans être surveillés par des adultes ou des adolescents », que dès qu’ils pouvaient se déplacer, ils étaient libres d’aller et venir, et de manipuler de vrais outils : « Avant même de pouvoir parler, le garçonnet dispose aussi d’un petit arc qui lui permet de s’entraîner en conditions réelles puisque les flèches sont bien droites et reflètent fidèlement ses aptitudes. »
Face à notre obsession de la sécurité absolue, face à nos peurs plus ou moins fondées et régulièrement alimentées par la lecture des médias (risques des accidents domestiques, de la circulation automobile, du violeur d’enfants, du meurtrier d’enfants…), il nous est bien difficile d’imaginer laisser une telle liberté à nos enfants. Comme le dit Jean Liedloff, « faire confiance en la faculté des enfants de s’auto-protéger constitue l’un des problèmes les plus compliqués. Nous y sommes tellement peu habitués que livrer un enfant à lui-même – parce qu’il sera mieux sans notre vigilance – dépasse l’entendement de beaucoup ».
Mais ce besoin de liberté dans des espaces libres du regard de l’adulte est pourtant un besoin vital de tous les enfants, sans lequel ils s’étiolent comme une fleur sans eau et sans soleil. Jay Griffiths explique qu’« en 2011, l’UNICEF a demandé aux enfants ce dont ils avaient besoin pour être heureux, et les trois premières réponses sont le temps (particulièrement avec leur famille), les amitiés et, ce qui est très révélateur, « dehors » […] Des études montrent que lorsque les enfants sont autorisés à jouer de manière non structurée dans la nature, leur sens de la liberté, d’indépendance et de force intérieure prospère ».
Et souvenez-vous : vos souvenirs d’enfance les plus heureux ne sont-ils pas liés à des moments où, avec vos copains/copines, vous construisiez une cabane dans le bois voisin ou exploriez la maison abandonnée au bout de la rue ?
Alors oui, essayons dans toute la mesure du possible de passer outre nos peurs, de faire confiance au continuum de nos enfants, de ne pas bourrer leurs agendas d’activités programmées, de les laisser libres de leur temps et de leur espace, bref, selon l’expression de Jay Griffiths, de ne pas les maintenir « en résidence surveillée » !
[1] Pourquoi les parents devraient laisser leurs enfants tranquilles.
[2] Le concept du continuum. À la recherche du bonheur perdu, Éditions Ambre, 2006. Pages 117 et suivantes.
Cette chronique est parue dans le numéro 43 de Grandir autrement.
Ci-dessous un extrait de l’article « Ouvrez, ouvrez la cage aux marmots », Télérama, 24 décembre 2016