L’école française n’est pas l’école du bonheur

L’école française n’est pas l’école du bonheur

Vous le savez, j’aime bien vous faire découvrir des études parues à droite et à gauche, qui viennent conforter mes vues sur l’éducation des enfants. Ces derniers mois, plusieurs sont venues dire que quelque chose cloche dans le système éducatif français dont nous sommes pourtant si fiers.

C’est d’abord un rapport de l’Unicef paru en avril dernier sur la situation des enfants et adolescents dans 29 des économies les plus avancées du monde [1], qui classe la France au 13rang [2], avec notamment un recul en matière de « bien-être éducationnel ».
C’est ensuite un livre, écrit par le Britannique Peter Grumbel [3] qui, parlant de l’école française, dit que « le problème, c’est qu’elle a donné naissance à une culture éducative malsaine au sein de laquelle la compétition et la sélection qui concernent une minorité l’emportent sur le bien-être et les progrès du plus grand nombre », dénonce « un système de notation impitoyable qui pointe du doigt la faute plutôt que la réussite » et note que « la pression exercée dans l’enfance pour bien travailler à l’école, dans une culture éducative qui n’hésite pas à humilier mais peine aussi à complimenter, laissera une marque indélébile ».

Le « mystère du mal français »

Une marque indélébile ? Peut-être bien, si l’on en croit les réponses que Claudia Senik, professeure à l’École d’économie de Paris (PSE, Paris School of Economics) dont les recherches portent sur l’« économie du bonheur » [4], donne à la question : pourquoi les Français, malgré un niveau de vie appréciable et un style de vie que les étrangers nous envient, ne se sentent pas plus heureux ? Pourquoi, « quand on est en France, toutes choses égales par ailleurs, on a 20 % de chances en moins d’être heureux – en tout cas de se dire très heureux » ? Pourquoi, dans un récent sondage WIN-Gallup sur ce qu’on prévoit pour l’année qui vient, les Français sont-ils plus pessimistes que les Irakiens et les Afghans ?
Pour l’économiste, « c’est leur culture qui rend les Français moroses ». L’explication du « mystère du mal français » tiendrait dans notre système éducatif : un système qui proclame l’égalité des chances mais est en réalité extrêmement élitiste, un système où l’on ne cesse d’être noté, classé, un système où « on demande aux gens d’appartenir aux 5 % des meilleurs (mais par définition, tout le monde ne peut pas y être) », et où, par conséquent, la majorité des élèves se sentent en permanence en échec par rapport aux attentes des enseignants et des parents.
Claudia Senik a même observé que « les immigrés qui étaient passés par l’école en France depuis un très jeune âge étaient moins heureux que ceux qui n’étaient pas passés par l’école française » et que les Français expatriés sont en moyenne moins heureux que d’autres expatriés européens, « ce qui prouve bien que c’est quelque chose qu’on emporte avec soi. » Ce qu’on emporte, c’est l’école française, qui n’est décidément pas l’école du bonheur…
Alors sommes-nous prêts, tous ensemble, parents, enseignants, pouvoirs public, à changer l’école, à en faire un lieu d’épanouissement et non un endroit où l’on n’a pas envie, matin après matin, d’aller ? L’actuel ministre de l’Éducation nationale  ayant dit dans une récente interview télévisée que « notre école a trop fonctionné sur l’idée qu’il fallait y souffrir », il y a peut-être des raisons d’espérer !

Mise à jour 2017 : quand j’ai écrit cet article en 2013, le ministre était Vincent Peillon. Qu’en ont pensé ses successeurs ? Et l’actuel ?

 

[1] Le bien-être des enfants dans les pays riches. Vue d’ensemble comparative, Centre de recherche Innocenti de l’UNICEF, avril 2013,
[2] Les États-Unis arrivent eux 26e
[3] Élite Academy. Enquête sur la France malade de ses grandes écoles, Éditions Denoël (2013).
[4] « Le malheur français, c’est quelque chose qu’on emporte avec soi », Mathieu Deslandes, 3 avril 2013.

 

Chronique parue dans le numéro 42 de Grandir autrement (2013).

PS. Sur la photo, j’ai 5 ans, je suis au deuxième rang, deuxième en partant de la droite. Pour ma part, j’ai été très heureuse à l’école, mais j’ai l’impression d’être une exception…

A propos de l'auteur

Claude Didierjean-Jouveau

Animatrice de La Leche League France, rédactrice en chef de la revue "Allaiter aujourd'hui !" Auteur de plusieurs ouvrages sur l'allaitement, la naissance et le maternage.

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