La fessée, c’est pas bon pour la santé
Cette chronique ayant pour nom « chronique d’une parentalité sans violence », il va de soi qu’elle s’oppose fortement à cette violence de base que représentent les gifles, fessées et autres coups « donnés » aux enfants par les adultes. Mais cette opinion est loin d’être majoritaire en France.
Si, selon un sondage fait en 2009, 52 % des Français pensent que la fessée est un geste à éviter, ils sont toujours 45 % à la voir comme un outil éducatif. Selon un autre sondage fait à l’occasion de la campagne de la Fondation pour l’enfance contre la « violence éducative ordinaire » [1], 86 % seraient opposés à une loi l’interdisant, avec les arguments bien connus selon lesquels « j’ai eu des fessées, et je n’en suis pas mort », et « une petite fessée n’a jamais fait de mal à personne ».
Pas de mal ? C’est à voir. L’an dernier, plusieurs études ont démontré que les fessées dans l’enfance ne sont pas sans conséquence [2].
Fessées et cancer
En septembre, une étude, faite par des chercheurs britanniques sur 700 adultes d’Arabie saoudite [3], a montré que ceux qui, enfants, avaient subi, une ou plusieurs fois par mois, des violences (physiques ou verbales) étaient davantage susceptibles d’avoir développé un cancer (70 % de risques en plus que ceux qui n’avaient été ni battus ni insultés), une maladie cardiaque (30 % de risques en plus) ou de l’asthme (60 % de risques en plus).
Pour Michael Hyland, l’un des chercheurs, le stress causé par les coups ou les insultes pourrait provoquer des modifications biologiques à long terme prédisposant aux maladies, y compris dans une société où les punitions corporelles sur les enfants sont considérées comme normales, comme c’est le cas pour la société saoudienne.
Fessées, agressivité et dépression
En septembre dernier également, une autre étude [4] s’est intéressée aux conséquences non plus physiques mais psychiques et comportementales de la fessée.
Faite sur près de 4 000 familles américaines à travers tout le pays, elle a montré que le fait d’être régulièrement fessé à 1 an augmentait le risque d’être agressif à 3 ans et… dépressif ou anxieux à 5 ans.
Une étude faite en 2010 sur près de 2 500 enfants [5] avait déjà montré que ceux qui étaient régulièrement fessés à 3 ans étaient beaucoup plus susceptibles d’être agressifs à 5 ans. D’autres avaient montré un lien direct entre fessées et symptômes dépressifs.
Mais l’originalité de la nouvelle étude est de montrer l’enchaînement entre les fessées, l’agressivité et la dépression.
Fessées et troubles psychiques
En juillet, ce sont des chercheurs canadiens [6] qui avaient montré, chez près de 35 000 Américains âgés de 20 ans et plus, une association entre les châtiments corporels subis pendant l’enfance et toute une série de troubles psychiques (anxiété, dépression, crises de panique, syndrome de stress post-traumatique, agoraphobie, phobie sociale, abus d’alcool ou de drogue…).
Combien faudra-t-il encore d’études pour démontrer ce qui paraît une telle évidence, à savoir que les châtiments corporels subis dans l’enfance de la part de ceux-là même dont on attend amour et protection, ne peuvent qu’engendrer de graves perturbations, tant physiques que psychiques, dont on risque de souffrir toute sa vie ?
[1] Voir le clip passé à la télévision à cette occasion : http://www.youtube.com/watch?v=5tFRP7P-qqU
[2] Voir aussi les travaux de Jacqueline Cornet, l’association Ni fessées ni tapes (http://www.nifesseesnitapes.org), l’association OVEO (Observatoire de la violence éducative ordinaire, http://www.oveo.org) et les ouvrages d’Olivier Maurel (en particulier La fessée. Questions sur la violence éducative, Éditions La Plage, 2015, et La violence éducative : un trou noir dans les sciences humaines, Éditions l’Instant Présent, 2012).
[3] Hyland ME et al., Beating and insulting children as a risk for adult cancer, cardiac disease and asthma, Journal of Behavioral Medicine 2012.
[4] Gromoske AN & Maguire-Jack K, Transactional and Cascading Relations Between Early Spanking and Children’s Social-Emotional Development, Journal of Marriage and Family 2012 ; 74(5) : 1054-68.
[5] Taylor CA et al., Mothers’ Spanking of 3-Year-Old Children and Subsequent Risk of Children’s Aggressive Behavior, Pediatrics 2010, en ligne le 12 avril.
[6] Afifi TO et al., Physical Punishment and Mental Disorders: Results From a Nationally Representative US Sample, Pediatrics 2012, en ligne le 2 juillet.
Chronique parue dans le numéro 40 de Grandir autrement.
Voir aussi Stop à la violence éducative ordinaire ?